René Couzinet est né en 1904 à La Roche-sur-Yon, en France. Dès son enfance il s'était passionné par la question du vol du plus lourd que l'air, observant le vol des oiseaux, particulièrement des hirondelles, et réfléchissant à leurs formes effilées qui inspireront plus tard la forme de certains de ses avions.
En octobre 1921, il entrait à l'Ecole des Arts et Métiers à Angers. Dès l'année suivante, à 18 ans, il dépose plusieurs brevets relatifs à l'aviation, dont un brevet concernant un projet «d'avion-hélicoptère». Il est sorti second de sa promotion en juillet 1924 et a poursuivi ses études à l'Ecole Supérieure d'Aéronautique à Rangueuil près de Toulouse, l'école créée par le colonel Roche connue plus tard comme «Sup Aéro».
En novembre 1925, il a été incorporé dans l'Armée de l'Air où il obtient le grade de sous-lieutenant, affecté au 34e régiment d'aviation basé au Bourget.
Le 21 mai 1927, René Couzinet était dans la foule qui accueillait l'américain Charles Lindbergh qui venait de réussir la traversée New York - Paris. Enthousiaste, il lançait son projet d'avion commercial transatlantique trimoteur, obtenait des financements, et débutait la construction trois semaines plus tard.
Le résultat, le Couzinet 10, déjà baptisé L'Arc-en-Ciel, est présenté à la presse. Sa silhouette avec sa dérive élégamment noyée dans la continuité du fuselage, qu'il dit inspiré des hirondelles, frappe les esprits. C'est l'un des premiers monoplans à ailes épaisses, quadriplace, et les ses trois moteurs Hispano-Suiza 8Ac de 180 CV sont accessibles et réparables en vol. Les roues sont carénées. Le rayon d'action est surestimé à 10 000 km, il peut emporter 6500 litres d'essence, la vitesse maximale est de 250 km/h, le plafond de 6000 m. Il pèse 9300 kg en charge, a 27 mètres d'envergure, 15 mètres de long, 3.90 mètres de haut, 92.75 m2 de surface alaire. Il est construit en bois recouvert de contre-plaqué entoilé. Son premier vol a lieu le 7 mai 1928, 1 seul exemplaire sera construit, et converti en Couzinet 27 en juillet 1928.
Ci-dessus: Le Couzinet 10, le premier «Arc-en-Ciel».
La presse lui réserve un accueil enthousiaste. La ligne épurée de l'engin séduit, l'absence de mats et haubans encore largement présents sur les avions d'ailleurs souvent biplan de l'époque suffisent à réaliser que Couzinet doit avoir un temps d'avance.
Ci-dessus: Le Couzinet 10 modifié 11.
Mais il est trop lourd pour les normes de l'époque: sa charge alaire est de 100 kilos par mètre carré de voilure alors que la norme officielle est de 50 kilos. Il ne reçoit donc pas d'autorisation de vol. Les premiers essais sont effectués malgré l'interdiction et semblent tout de même satisfaisants, mais une manoeuvre trop risquée aboutit à un accident: l'avion s'écrase le 8 août 1927, entraînant la mort de deux des quatre occupants, son pilote Maurice Drouhin et son mécanicien André Lanet.
Les normes officielles de l'époque, parfois présentées plus tard comme stupides ou mal intentionnées, comme émanant de fonctionnaires bornés voulant brider les créations de visionnaires géniaux prêts à révolutionner l'aéronautique, ne l'étaient peut-être pas tant que cela...
Ci-dessus: Couzinet accidenté.
Un nouvel Arc-en-Ciel doit donc être construit. L'ego surdimensionné et le caractère difficile de Couzinet le brouillent avec les autres ingénieurs et constructeurs aéronautiques, dont il refuse les conseils, et il est en dispute permanente avec les administrations de l'aéronautique.
René Couzinet n'a alors plus guère de soutiens et plus de fonds, mais la municipalité de Biarritz prend l'initiative de lancer une souscription et la somme est réunie. Couzinet s'en souviendra en baptisant «Biarritz» l'un de ses modèles à venir.
Ci-dessus: En vol.
En février 1930, aux ateliers que l'industriel Emile-Louis Letord a mis à sa disposition à Meudon dans les Hauts-de-Seine, Couzinet construit son deuxième Arc-en-Ciel, ainsi qu'un hydroglisseur, mais le 17 février, alors que l'avion est prêt, un incendie détruit tout. Il reçoit de nouveaux financements, s'installe à l'île de la Jatte à Levallois-Perret, construit un troisième Arc-en-Ciel, le Couzinet postal type 20, ou 21, trimoteur comme le précédent, mais triplace et équipé de trois moteurs Walter «Vega I» de 85 CV, puis le Couzinet 33, baptisé Biarritz, qui sort d'usine le 6 octobre 1931.
Il a une envergure de 16 mètres, une longueur de 11,73 mètres, une hauteur de 2,75 mètres, une surface portante de 34.40 m2. Il est quadriplace, d'une masse en charge de 3500 kg, il est motorisé par trois De Havilland «Gipsy III» de 120 CV qui lui donnent une vitesse maximale de 260 km/h. L'autonomie est de 4500 km.
Le Couzinet 33 "Biarritz". |
Le «Biarritz» réussit la première liaison aérienne France-Nouvelle-Calédonie, décollant du Bourget le 6 mars 1932, avec le Baron Charles Verneilh aux commandes, le navigateur Max Devé et le mécanicien Emile Munsch. Après de nombreuses escales, le 5 avril 1932, il se pose enfin en Nouvelle-Calédonie, accueilli par une foule de 10 000 enthousiastes, mais il est détruit à l'atterrissage. Un deuxième Couzinet 33 «Biarritz» sera reconstruit en utilisant ses restes. A son bord, Charles Verneilh réalisa entre autres un Alger-Paris sans escale. Il s'écrasera ensuite dans le brouillard à Blaisy-Bas en Côte-d'Or le 30 octobre 1933.
Au début de 1932, un «Arc-en-Ciel III», le Couzinet 70, largement amélioré, sort d'usine. Ses moteurs développent chacun 650 CV chacun, le rayon d'action est porté à 11.000 Km et la vitesse maximale à 285 km/h. Il fera son premier vol le 11 février 1932, un seul exemplaire sera construit.
Ci-dessus: Le Couzinet 70.
L'avion intéresse l'Aéropostale pour une ligne postale vers l'Atlantique Sud jusqu'alors impraticable pour les avions. L'Aéropostale a hésité entre le dirigeable, l'hydravion, et c'est l'Arc-en-Ciel qui sera retenu. L'Aéropostale organise la rencontre entre René Couzinet et leur pilote émérite Jean Mermoz, et les deux hommes se lient rapidement d'une amitié durable.
Jean Mermoz mènera un «Arc-en-Ciel III» de Saint-Louis-du-Sénégal à Natal en 14 heures et 27 minutes en janvier 1933.
Ensuite, Mermoz est chargé de réaliser un exploit: emmener cet «Arc-en-Ciel» de Paris à Buenos-Aires pour une première tentative de traversée de l'Atlantique Sud par un avion qui ne soit pas un hydravion. L'avion décolle du Bourget le 7 janvier 1933, fait escale à Istres, à Port-Etienne en Mauritanie, à Saint-Louis-du-Sénégal puis effectue la traversée de 3173 Km au-dessus de l'Atlantique en 14:32 et à 227 km/h de moyenne. Il se pose à Natal au Brésil, puis à Rio, Buenos-Aires, et Montevideo, où il accueilli triomphalement. Mermoz et Couzinet sont acclamés, Couzinet est présenté dans les actualités et magazines comme un génie, un surdoué.
Ci-dessus: Arrivée à Buenos Aires en Argentine.
Le retour le 15 mai sera plus mouvementé, avec une fuite du circuit de refroidissement obligeant à l'arrêt d'un moteur, mais le 21 mai 1933, l'avion se pose au Bourget, accueilli par 15 000 personnes en liesse. La double traversée de l'Atlantique Sud par un avion qui ne soit pas un hydravion a été réussie pour la première fois, et l'exploit fera enfin reconnaître au Ministère de l'Air que l'hydravion, favorisé jusqu'ici pour des raisons de sécurité en vol maritime, n'est plus la seule solution acceptable.
L'Aéropostale a des soucis financiers, suscite des convoitises, elle est mise en liquidation et absorbée par la nouvelle compagnie nationale: Air France. L'Arc-en-Ciel III alias Couzinet 70, devenu 71 après modifications, est alors vendu à Air France et fera quelques traversées encore de l'Atlantique Sud en 1934, mais aucun autre exemplaire n'est commandé. Ayant espéré en vain des commandes de Couzinet 71 par Air France, il doit, à la fin de l'année, fermer son usine.
Chez Air France, l'avion est modifié, la signature Couzinet est effacée, et comme il est déjà très usé par ses vols périlleux et ses incessantes modifications, il est déclaré bon à brûler après seulement quelques essais. Couzinet en rachète l'épave sans ses moteurs, en 1937, il sera malheureusement détruit par un incendie en 1940.
Un «Couzinet 80» qui était un RC30 dont le moteur central devait être remplacé par un poste de mitrailleur est prévu, un prototype fera un premier vol le 3 octobre 1933 et sera abandonné. Le «Couzinet 90», bombardier lourd de 2600 CV, commandé par le ministère de l'air en 1932, est décommandé en 1934 avant que la construction en soit terminée. Trois «Couzinet 73», des trimoteurs postaux de 2640 CV commandés en 1934 par le ministère de l'Air, ont leur commande annulée en 1935 alors qu'ils ne sont pas achevés.
Ci-dessus: En construction.
Couzinet s'acharne, prépare de nouveaux projets dans un hangar du Bourget, mais sans grands moyens. Son ami et soutien Mermoz se tue en avion le 7 décembre 1936. C'est l'année où il monte la Société Anonyme Avions René Couzinet, construit le Couzinet 100, avion de tourisme triplace de 13 mètres d'envergure, dont il se sert lui-même, puis le 101, assez similaire, que l'on dit avoir été acheté par les Républicains espagnols et jamais revu depuis, et encore un Couzinet 103, amélioration des précédents et construit lui aussi à un seul exemplaire.
Il y a un projet de Couzinet 150, monomoteur de course, jamais construit, un «Air Couzinet 10» qui sera son dernier modèle à voler, un «Air Couzinet 246» jamais construit et décommandé. L'avance du constructeur à fondue: ses avions en bois ne tiennent plus la comparaison avec les nouveaux avions en métal français et américains.
Ci-dessus: Air Couzinet 10.
En 1937, il fonde la «Transocéanique», sensée exploiter son bimoteur postal Air Couzinet 10.
En 1938, il obtient un contrat de révision de bombardiers Potez de l'armée, et commence à renflouer ses caisses, le ministre de la défense lui permet d'implanter un partie de ses ateliers à La Roche sur Yon et il achète un terrain à Noirmoutier permettant de lancer des hydravions.
Au début de 1939, il révise 12 Potez et six Caudron par mois, et conclut une transaction avec le ministère de l'air qui met fin à tous les litiges accumulés depuis des années. Toutes les commandes arbitrairement suspendues lui valent une indemnité de 5 800 000 francs qui lui permet de reprendre le travail. Il obtient enfin une nouvelle commande officielle pour un modèle «Air Couzinet 20 B4», un bombardier quadrimoteur devant atteindre les 510 Km/heure. Mais la guerre éclate, la nouvelle usine à Barbâtre dans l'île de Noirmoutier ne pourra pas être achevée et les deux prototypes «Air Couzinet 20 B4» sont détruits dans la guerre avant d'être achevés.
Son atelier de La Roche-sur-Yon reçoit également des commandes pour fabriquer le nouvel avion de chasse Vernisse et Galtier VG33, mais c'est encore trop tard.
Ci-dessus: L'avion de chasse VG 33.
Couzinet se replie dans le sud de la France, et le 20 septembre 1940, quitte le pays pour le Brésil avec lequel il avait signé, grâce au président Gétulio Vargas, un contrat d'exploitation de 15 ans, et il y prend la direction de la Fabrique Nationale d'Avions du Brésil à Lagoa Santa. 35 personnes de l'entreprise l'y rejoindront. Il résilie son contrat en 1942, et s'engage dans les Forces Françaises Libres en septembre 1943. Il a toujours la tête pleine de projets, dont un hydravion transatlantique de 54 tonnes. Il publie avec ses propres deniers son livre «Quelques leçons d'aéromécanique: et un règlement d'essais de qualités de vol».
Ci-dessus: Une maquette pour un projet d'hydravion transatlantique de 54 tonnes par Couzinet.
Il revient en France dès que possible, en 1945, s'échine à récupérer son usine de Levallois-Perret mais elle reste attribuée à la société SIPA que les Allemands y avait installée, et qui bénéficie des marchés du ministère de l'air. Il entreprend alors de réparer ses ateliers de La Roche-sur-Yon, dont le bâtiment principal a été détruit par un bombardement. Il veut construire des avions transatlantiques, dont un quadrimoteur postal, des hydravions, des avions de tourisme biplace, quadriplaces, mais se lance seulement dans la fabrication d'hydroglisseurs.
Son hydroglisseur RC 125, de 8 tonnes, construit alors qu'il est circule entre la France et le Brésil, est testé le 27 septembre 1946, dans la baie de Rio de Janeiro. Son hydroglisseur type 60 équipé d'un réacteur Turboméca, le premier «bateau à réaction» construit en France, est présenté au salon de l'aviation en 1951.
Mais personne ne commande ces hydroglisseurs trop chers aux coûts de construction et de maintenance ruineux, et sans réelle utilité, bien moins fiables que les bateaux et bien moins performants que les avions.
Il tentera d'en vendre le concept en Afrique et en Amérique du sud, sans succès: les fleuves de ces pays, souvent encombrés de débris qui constituent autant d'obstacles matériels, ne pouvaient pas assurer la navigabilité en toute sécurité exigée par ses engins.
Ci-dessus: Un des premiers hydroglisseurs Couzinet, à hélice.
Ci-dessus: Un hydroglisseur Couzinet tardif. Les moyens financiers ne sont plus là, l'engin est simplement un hors-bord nanti d'un réacteur.
En 1955, vraiment revenu en France, mais sans décrocher la moindre commande de l'état, il reprend son idée «d'avion hélicoptère». Il veut réaliser un engin à décollage vertical, mais aux performances d'avions et non d'hélicoptère. Il en dépose le brevet le 25 mai 1955 sous le numéro 1.129.038 et le titre «Aérodyne à ailes multiples», brevet qui sera publié en 1957 alors qu'il n'est plus de ce monde.
Ci-dessus: Image du brevet de l'aérodyne Couzinet,
que l'on trouve un peu partout sur le net.
Dans son atelier de l'île de la Grande-Jatte à Levallois-Perret, il réalise un maquette en bois et acier, modèle réduit au 3/5, non destinée au vol, de «l'Aérodyne à ailes multiples RC 360», un engin en forme de soucoupe volante qui fera fantasmer les «webufologues» des décennies plus tard. Il présente la maquette dans son atelier de la Jatte, puis dans les salons aéronautiques à partir de juillet 1955, y compris au salon aéronautique international de Brighton en Angleterre.
Pourquoi une telle soucoupe volante? Parce que l'année précédente, toute la France en voyait. Il n'est pas du tout assuré que Couzinet croyait à ces récits, il dira simplement vouloir construire ce que l'imagination de ses concitoyens avait prévu. On dit qu'il n'appréciait pas que la presse appelle son aérodyne une «soucoupe volante».
Ci-dessus: La maquette de l'aérodyne Couzinet, à l'atelier.
L'engin était supposé pouvoir décoller verticalement et se déplacer ensuite comme un avion à réaction. Il est donc prévu qu'il ait, autour d'un habitacle fixe, six moteurs Lycoming de 180 CV en trois paires pour faire tourner deux couronnes contrarotatives de 96 petites ailettes servant de pales d'hélice à sa circonférence, et d'un réacteur ventral Marcel Dassault Viper de 135 CV et 745 kg de poussée - gâchant ainsi la forme de soucoupe - pour une propulsion horizontale.
Mais sa «soucoupe volante» n'a évidemment jamais volé, n'ayant jamais été construite. L'administration de l'aéronautique avait à juste titre estimé qu'investir dans un projet irréalisable ne serait que gaspillage des fonds publics. Ce qui n'empêche pas la presse sensationnaliste de 1956 de titrer sur «la Soucoupe Volante Française» et d'y voir la solution de l'énigme du déferlement de soucoupes volantes de 1954.
Ci-dessus: La maquette de l'aérodyne Couzinet, à l'atelier. Noter le cockpit en plexiglas, et le réacteur ventral.
Ci-dessus: La même photo non recadrée, montre l'inventeur présentant la maquette.
D'ailleurs, trois ans auparavant, les anglo-canadiens avaient tenté de façon plus sérieusement financée un projet semblable: l'Avrocar, de Robert Frost. Cette fois le stade de la maquette en bois avait été largement dépassé. Mais tous les efforts sont restés vain. Loin de décoller et filer dans les cieux à la vitesse supersonique espérée, l'Avrocar ne pouvait guère faire mieux que de flotter à moins d'un mètre du sol, ne dépassant pas les 45 km/h, d'une manière terriblement instable, piquant du nez à la moindre irrégularité du sol dès qu'un pilote non habitué tentait d'en prendre les commandes. L'Avrocar ne se comportait pas du tout comme un avion, mais simplement comme un très mauvais aéroglisseur, manquant des «jupes» qui permettront plus tard aux véritables aéroglisseurs de maintenir sous eux un coussin d'air assez stable pour leur permettre de «flotter» pratiquement sans contact au-dessus du sol ou de l'eau. Et bien que quelques ufologues ou conspirationnistes croient ou veulent faire croire que cette histoire était secrète à l'époque, elle ne l'a été que quelques mois, et les autorités aéronautiques en France n'ignoraient évidemment pas un tel échec et ne pouvaient que voir que René Couzinet n'avait aucune solution à apporter.
Mais la presse, bien entendu, se prit d'amour pour la nouvelle soucoupe.
Le journal Libération du 2-3 juillet 1955, ayant vu les photographies de la maquette de la soucoupe dans l'atelier de Levallois-Perret, écrit qu'elle constitue «une véritable révolution dans l'histoire aéronautique.» Paris-Match, en 1956 [pm1], présente la soucoupe modèle réduit comme une véritable soucoupe volante française, une réussite qui ne demanderait que quelques mois de développement supplémentaires pour voler. Non seulement «La soucoupe volante existe», mais encore elle va «bientôt remplacer l'avion», et «une maquette s'envolera avant la fin de l'année. La soucoupe définitive, dix fois plus grande, est prévue pour 2 pilotes et 6 personnes. Son impressionnant modèle en bois est prêt. Couzinet, qui n'a encore reçu aucune aide, la réalisera en neuf mois.» Et dans son chapeau, le rédacteur affirme que son journal présente l'Aérodyne RC 360 «en exclusivité» à ses lecteurs, comme s'ils révélaient un grand secret, alors que la présentation officielle et publique a eu lieu un an auparavant.
Une photo d'un maquette circulaire de 1 mètre de diamètre surmontée de fumée est dite être la preuve que «la soucoupe tend à monter» parce que son «rotor supérieur... aspire la fumée». Des décennies plus tard, un internaute, bien qu'admirateur de Couzinet, commentera avec une cruelle et juste ironie que son aspirateur aussi pourra voler, car il aspire également la fumée...
La nouvelle sensation française avait atteint la presse étrangère dès 1955, avec par exemple le journal Philadelphia Inquirer du 5 juillet 1955, aux USA, ou Popular Science aux USA titrant «La tarte géante concoctée par un français est la nouvelle soucoupe volante» [ps1], ou Aeroplane And Commercial Aviation News, qui voit en 1955 un côté «prometteur» à la soucoupe de Couzinet. On la retrouve dans Flying en 1955, dans Naval Aviation News en 1956; Le célèbre magazine Life publie le 18 juin 1956 un dessin de la soucoupe en légendant qu'elle «décolle verticalement», sans préciser qu'elle devrait décoller verticalement si toutefois elle devait finalement être construite avec succès.
Ci-dessus: La soucoupe Couzinet dans Popular Science en 1955. On y rapporte que Couzinet espère faire décoller son Aérodyne dans le courant de l'année suivante, et on omet de préciser que la chose photographiée est seulement une maquette en bois non destinée à voler.
Autant pour le soi-disant côté «secret» de la soucoupe française...
Elle atteint logiquement la littérature ufologique, avec un article de l'éditeur de la Flying Saucer Review britannique, Derek Dempster, en septembre 1955 [fs1].
Mais Couzinet est alors assailli de dettes, et dramatiquement désillusionné de ce que ses dernières inventions n'aient convaincu personne.
Le dimanche 16 décembre 1956, il prend un revolver, assassine son épouse Gilberte Chazotte, veuve de Jean Mermoz, puis se donne la mort. René Couzinet repose dans le cimetière de Bagneux, à Montrouge, dans le Pas-de-Calais.
Depuis les années 1950, certains ufologues se sont mis à croire que les «OVNIS» et autres «soucoupes volantes» ne seraient pas extraterrestres, mais bien terrestres: ce seraient «les nazis» qui les auraient inventés, et les feraient encore voler, depuis des «bases secrètes» situés au gré des fantaisies, le plus souvent au Groenland, ou en Antarctique. J'ai déjà montré comment ces sornettes se sont construites et perdurent, mais la «soucoupe» Couzinet, elle aussi, a été récupérée comme suggérant ou même prouvant la réalité de ces soucoupes nazi.
On trouve par exemple en 1978, en bonne place de la Revue des Soucoupes Volantes de Michel Moutet [sv1], une photographie de prétendue «soucoupe nazie» supersonique qui est en réalité une photo de la maquette de la «soucoupe» Couzinet, recadrée de manière à en faire disparaître son inventeur français. La manipulation a été dénoncée par l'ufologue Gilles Durant en 1984. [gd1]
Ci-dessus: Le 4 juillet 1955, le journal Var-Matin - République titrait «Cette soucoupe existe» et publiait, comme beaucoup de quotidiens, une photo par l'Associated Press de la maquette à côté de René Couzinet. C'est cette photographie qui sera recadrée pour en faire une «soucoupe nazi» (Ci-dessous).
Ci-dessus: La soucoupe Couzinet sans Couzinet.
On retrouverait, dit-on sur le net, la même photographie dans le magazine Le Fana de l'Aviation (N. 353, pp 53-56) d'avril 1999, où la photo prétendument «inédite» serait présentée comme une «photo inconnue de la V7 ou de la V10 allemande.» Mais c'est assez faux, l'article de Gérard Bousquet étant titré «La soucoupe volante de René Couzinet» et dit entre autre qu'en «1956, René Couzinet conçut un aéronef de forme lenticulaire dont personne ne voulait mais dont les amateurs d'OVNI se sont emparés, en le faisant passer pour une soucoupe volante, avant même la disparition tragique de son inventeur».
Bien entendu, l'une des théories farfelues sur la soucoupe Couzinet, selon un mécanisme assez classique, propose que s'il y a bien maquette inapte au vol, Couzinet a construit secrètement une deuxième soucoupe volante, «plus performante», et l'on insinue qu'elle a bien volé. En réalité, la suite pour Couzinet a été un modèle réduit en bois bien plus petit. Quant aux améliorations de ce qui restera à jamais un rêve, elles sont à l'aune de ce qui avait été envisagé pour l'Avrocar: il n'y avait rien de bien efficace initialement pour diriger l'engin, alors, on renonce au cockpit circulaire, on ajoute des dérives... (Ci-dessous) C'en est finie de la forme épurée de soucoupe, on en fait peu à peu un avion!
Ci-dessus: Petite maquette en bois plein pour essais en soufflerie d'une nouvelle soucoupe Couzinet, exposée par sa municipalité natale de La Roche-sur-Yon.
pour ce qui est de l'evolution parallele ,on rappelera que les allemands ont travailles a la fois pour les usa la franc et la russie apres la guerre 40 et qu'avant cette guerre donc bien avant l'existence de la nasa existaient des projets anti gravitiques français incluant des brevets partiels avant que les usa ne reviennent sur le sujet par la suite rene couzinet et les autres ne sont que la face visible de ce qui fut et il est tres complique de retrouver des informations sur ces sujets
(Vu sur le forum OVNIS - conspiration «OVNI-USA»)
Selon Henry Stevens, Couzinet est mort dans un soudain accident de voiture juste après que son histoire et les photos ci-dessus soient apparues dans le Philadelphia Inquirer [...]
(Vu sur le forum xenophilia.com)
Dans les années cinquante René Couzinet a construit des soucoupes volantes futuristes. La vie de Couzinet a eu une fin tragique.
(Un forum allemand)
Un autre site «OVNIS» assure que dans son livre «Les Chemins qui menaient à Rawa-Ruska», en page 9, l'auteur Paul Chevallier raconte avoir découvert «une Soucoupe Volante chez Renault», en fait: l'auteur, travaillant chez Renault en 1957, entend de quelqu'un que deux ouvriers des ateliers Couzinet ont satisfait sa curiosité en montrant ce qu'il y avait sous une bâche aux ateliers Couzinet, proche de ceux de Renault à Levallois-Perret, en lui montrant évidemment une maquette de la soucoupe Couzinet, et non pas une soucoupe réellement volante dans un atelier Renault. [re1]
C'est dans le magazine français Top Secret que les fantasmes se poursuivent en 2009 [ts1].
L'auteur, signant «la rédaction», y affirme qu'en 1956, suite à la vague de 1954, la presse française traitait les témoins de «soucoupes volantes» avec «sérieux...», «sans humour déplacé, sans ironie» - ce qui méritait pour le moins quelque nuance. C'est l'article de 1956 dans Paris-Match [pm1] qui a les honneurs, on prétend qu'avec le recul, on doit voit ce que «ce dossier peut nous apporter de troublant aujourd'hui».
On se dit impressionné par la taille «du prototype de la soucoupe volante qui remplit la surface d'un hangar», puis sans rire:
«Le prototype est bien avancé puisqu'on y voit toutes sortes de lumières, et il semble tourner sur lui-même à en croire l'effet de transparence au niveau des pales extérieures.»
Ci-dessus: Le magazine montre une photo grossièrement truquée de la soucoupe Couzinet: non seulement la photo est celle qui avait été recadrée pour faire disparaître René Couzinet, mais encore, le cockpit en plexiglass et les entrées d'air sont devenus lumineux!
Et oui! Sur la base d'un trucage grossier, ce qui n'était qu'une maquette en bois devient un «prototype» orné de lumières du plus bel effet...
Sans tiquer, l'auteur cite Paris Match comme disant qu'une maquette s'envolera avant la fin de l'année, que la soucoupe définitive sera dix fois plus grande. Et on argumente: Couzinet ne peut pas être un fou, puisque c'est un des plus grands noms de l'aviation. Il a de l'assurance, c'est donc qu'il a résolu tous les problèmes.
Il n'a pas obtenu de soutien. Est-ce signe de ce que la maquette n'a aucune chance d'aboutir à un véritable appareil volant? Bien sûr que non, c'est le signe de quelque sinistre conspiration:
«Aujourd'hui, au vu de l'absence de cette soucoupe volante dans le ciel, la question qui s'impose c'est: pourquoi la France n'a-t-elle pas donné les moyens à cet homme qui avait déjà à maintes occasions démontré son génie? C'est un mystère de plus auquel il fait peur de répondre...»
Brrr!
Paris-Match parle de «première soucoupe du monde». «Pas si sûr», répond Top Secret, ou les fantaisies sur les «soucoupes nazi» avaient déjà fleuri.
Alors, les fantasmes s'expriment. L'engin français est «à l'image d'un design bien français», tandis que «les lignes brutes de la soucoupe nazie, de type Adamski» est «conçue dans un esprit curieusement bien germanique». Il n'y a jamais eu de soucoupe nazie, Adamski l'ami des belles Vénusiennes n'était qu'un menteur assez ridicule, mais peu importe, «c'est troublant», assure-t-on. «Si la question peut heurter, elle mérite cependant d'être posée». Formules toutes faites, qui ne mangent pas de pain, obligatoires dans ce genre de publications, obligatoires dans les propos conspirationnistes. Non, que ces questions heurtent ou non n'est pas le problème, et oui, elles ont été posées et posées et posées encore, et les réponses argumentées ont été faites, et bien entendu systématiquement ignorées par ces gens qui prétendent révéler des «vérités»: non, il n'y a jamais eu de soucoupe volante nazi, ni de soucoupe volante américaine, encore moins française, qui aient jamais parcouru les cieux. La seule soucoupe terrestre pilotée à avoir quitté le sol reste celle de Paul Moller (www.moller.com). Pour le reste, il n'y a que sottises crédules, goût du mystère, fraudes pures et simples et incompétence profonde.
Le reste est à l'avenant. Couzinet «pouvait représenter une menace pour les gardiens du secret». Secret bien mystérieux, secret laissé à l'imagination, «gardiens» jamais désignés d'un «secret» sans substance... Couzinet se suicide. Ce n'est pas un suicide croira le lecteur avide de complots, car «finalement, la vraie prouesse des gardiens du troupeau, c'est d'avoir fait croire à l'opinion public [sic] que ce genre de fin était normale». Son invention ne se résume pas à la construction d'un modèle de soucoupe en bois, mais est, s'interroge-t-on, une invention «sensible», «pas destinée à tout le monde mais réservée seulement à une élite?» Les «debunkers» ont renoncé à nous faire le coup des «engins secrets» qui «expliquent les soucoupes volantes», ces engins secrets qui n'ont jamais existé, ou jamais pu voler, ou jamais été bien secret bien longtemps, jamais bien révolutionnaires, mais en conspirationnisme, le monde est secrètement dirigé par des «élites», des «gardiens», il y vole des «soucoupes d'Adamski», les décès y sont forcément «mystérieux», avec des «circonstances douteuses». En doutez-vous? Et bien, c'est que vous faites partie du troupeau, vous n'êtes qu'un aveugle apeuré, un mouton du «troupeau» au cerveau manipulé par les «élites», qui refuse d'ouvrir les yeux à toutes ces «Vérités» dont «nous avons tous besoin» vendues 6 euros 50 dans les supermarchés au nez et à la barbe des «élites» par ailleurs prêtes à tuer pour les étouffer...
Ceux qui ne croient pas à ces fariboles, qui ne croient pas aux soucoupes nazies, ce sont aussi des «planificateurs invisibles» qui «à force de contre-exemples surmédiatisés comme le douteux Avrocar, ont convaincu que les disques volants étaient une chimère.» Que le «douteux Avrocar» ait au moins pu survoler à ras de sol sa piste d'essai tandis que la soucoupe Couzinet n'était qu'un modèle en bois ne pose visiblement aucun problème à la «la rédaction». Que l'on puisse penser à une origine extraterrestre pour certains des engins rapportés, sans pour autant gober les salades sur les soucoupes volantes nazies, cela ne saurait même être envisagé, ou alors, assure-t-on parfois histoire de ne pas perdre du lectorat, ce sont les extraterrestres eux-mêmes qui ont permis au nazis de construire force «soucoupes Adamski» et autres «V7», «Vril», «Haunebu» qui illustraient les magazines néo-nazis des années 1950... à défaut de voler dans les cieux.
Puis, volte-face. Couzinet tout juste prétendu mort dans des «circonstances douteuses» finalement s'est bien suicidé, parce ceux qui rêvent de soucoupe volante ne sauraient être que des «fous bons pour l'asile», et «de fous, ils deviennent rapidement dépressifs et se suicident.» Dans tout cela, ni preuves, ni informations, ni logique, ni même cohérence. Photo truquée réchauffée, fantasmes, agitation de «peurs» qui ne font frissonner que les aficionados des «New World Order», «Livre Jaunes N° 5», «Terre Creuse», bases secrètes nazies au pôle Nord ou Sud, et autres «Illuminatis» en soucoupes volantes...
Ci-dessus: Besoin de vérité, ou besoin de rêver? Quelle «vérité» dit-on là sur la «soucoupe volante française»?
Ci-dessus: Non, il n'y a là aucune «Science», et vraiment rien d'interdit non plus.
Ci-dessus: Bonne question! Mais la réponse du magazine, «parce que sa soucoupe était réservée aux élites», n'est que faribole. Bonne réponse: parce qu'elle n'avait aucune chance de voler, parce qu'on le savait déjà, cela avait été tenté en vain avec l'Avrocar, parce que ce n'était pas une invention, qu'elle n'était pas incroyable mais irréaliste, parce que René Couzinet perdait malheureusement les pédales, parce que la solution à la question du décollage vertical n'était pas d'essayer de faire voler un disque, mais l'hélicoptère et les avions VTOL à venir.
Top Secret remet le couvert dans un numéro suivant [ts2] par des allusions à la soucoupe de Couzinet à propos d'un récit d'observation de soucoupe volante à Mertrud en... 1954... qui par ailleurs n'était qu'un canular [me1].
Du côté des afficionados de la soucoupe nazie, Couzinet est évidemment récupéré également. Initialement, peu d'entre eux en font une «soucoupe nazie», prédisant bien que la chose est française et que son concepteur est René Couzinet, mais... les délires abondent.
Par exemple, J. Andreas Epp, le soi-disant «ingénieur Allemand Andréas Epp» qui «créa trois toupies qui volèrent respectivement en 1943 et 1944», assure-t-on chez les fans de soucoupes nazies, dans son livre [ep1], outre qu'il prétendait que le suicide de Couzinet est «resté inexpliqué», invente que...
«La soucoupe volante de Couzinet a atteint une vitesse anémométrique de 600 km/h avec les premiers vols d'essai avec un poids total de 1260 kg et une performance de moteur d'environ 5,66 kg...»
Au moins J. Andreas Epp n'a-t-il pas publié de photographies arrangées de l'Aérodyne Couzinet. Il reprend deux photos de l'Associated Press, sans en supprimer la présence de l'inventeur français. L'engin est cependant présenté comme une soucoupe volante, rien ne vient informer de ce qu'il ne s'agit que d'une maquette incapable de voler.
Et, on s'en doute, les conspirationnistes font moult insinuations quant au suicide de René Couzinet, un décès présenté «louche» et sensé introduire dans l'esprit de leur lecteur quelque assassinat par on ne sait quelle pouvoir occulte pour on ne sait quelle raison...