L'article ci-dessous est paru dans le quotidien Le Méridional, France, pages 3 et 12, le 29 octobre 1954.
nous dit le maire de Chtâteauneuf-du-Pape commentant (ironiquement) son arrêté
CHATEAUNEUF-DU-PAPE (De notre envoyé spécial: André BECRIAUX). -- "Nous avons rendu visite, hier jeudi, à M. Lucien Jeune, maire de la charmante cité de Châteauneuf-du-Pape, célèbre depuis toujours par son excellent vin et, en outre aujourd'hui, par l'arrêté de son maire qui, humoristiquement, interdit aux soucoupes et aux cigares volants de se poser sur le territoire de la commune. Nous avons, dans notre précédent numéro, publié le texte de cet arrêté pour le moins curieux.
C'est dans la salle de l'hôtel de ville, réservée au secrétariat, que M. Lucien Jeune, maire de Châteauneuf-du-Pape, voulut bien nous recevoir, quoique très occupé à répondre, par téléphone, à de nombreux confrères parisiens ou étrangers.
- Vous êtes, désormais, une célébrité, lui disions-nous en guise d'entrée en matière.
- Je pense bien, nous répondit-il. Depuis ce matin, le téléphone ne s'arrête pas de sonner, et ce sont toujours des journalistes qui me demandent des détails. Moi qui aime rester tranquille dans mon coin, je suis servi... Jamais je n'aurais cru que mon arrêté puisse intéresser à ce point.
- C'est qu'il est pour le moins curieux. Mais dans quel but l'avez-vous établi?
- Je ne crois guère aux soucoupes volantes, et encore moins aux Martiens, nous précisa-t-il. Puis, son ton devenant ironique,
SUITE PAGE 12 SOUS LE TITRE NOUS CONVIONS LES MARTIENS
il continua: "J'ai pris cet arrêté dans le plus grand secret, mon premier adjoint ignorait même son existence, afin de tranquiliser les nombreux vendangeurs qui travaillent sur le territoire de ma commune".
Reste à savoir, évidemment, si les Martiens, dans le cas où... pourront avoir connaissance de cet arrêté.
"Cet arrêté, je l'ai, évidemment, pris sur le mode humoristique, et j'espère bien que nous n'aurons pas à le faire respecter (c'est une chance pour M. Costantini, garde champêtre, qui, selon l'article 3 du dit arrêté, est chargé de mettre la soucoupe ou le cigare volant en fourrière...). Tout à l'heure, encore, j'essayais de le faire comprendre à une de vos collègues anglaises, mais elle ne comprenait pas le mot humoristique. Pourtant, une Anglaise, enfin, tant pis... A la fin, elle m'a demandé combien je buvais de litres de vin par jour. Trois, lui répondis-je; ça fait au moins de la publicité pour notre cru".
- Que feriez-vous de la soucoupe et de ses passagers, si par mégarde, ignorante de votre arrêté, une se posait dans un des vignobles avoisinants?
- Le garde champêtre mettrait immédiatement l'engin en fourrière. Quant aux Martiens, nous les inviterions à un apéritif d'honneur où couleraient le châteauneuf rouge et le châteauneuf blanc.
Nous disant ces mots, M. Lucien Jeune avait des difficultés à conserver son sérieux et à dissimuler son sourire. Pourtant, nous pouvons être certains que c'est ainsi qu'il ferait, évidemment, toujours dans le cas où il y aurait soucoupes et Martiens.
Souhaitons que les Martiens soient des gourmets et soient à même d'apprécier le vin généreux de ce pays. C'est un moyen comme un autre, tout en leur montrant notre dignité et notre puissance en mettant leur engin en fourrière, d'en faire des amis.
A ce propos, le propriétaire de "La Mule du Pape" nous indiquait, toujours très ironiquement, qu'il était disposé à faire un menu spécial pour les Martiens.
"S'il n'y avait pas cet arrêté, nous confiait-il en outre, nous aurions également pu prévoir, avec l'aide de tous les producteurs, un tout aussi spécial terrain d'atterrissage..."
Nous quittions alors Châteauneuf-du-Pape en pensant que c'était vraiment un pays où il fait bon vivre, avec ou sans Martiens, bien entendu.
André BECRIAUX