L'article ci-dessous est paru dans le quotidien L'Ardennais, France, page 2, le 20 novembre 1954.
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Jeudi soir, au deuxième étage de la mairie de Charleville, s'ouvrait le cycle de conférences du groupe artistique Arthur Rimbaud. Une salle presque comble manifesta son plaisir de retrouver en M. André George le brillant conférencier et le savant rationaliste qui était venus en mars 1952 traiter de l'énergie atomique.
De plus, le sujet annoncé cette fois - "que faut-il penser des soucoupes volantes?" - avait singulièrement élargi l'auditoire des grandes conférences, en piquant la curiosité aussi bien des "soucoupistes" que des "anti" et des agnostiques.
D'emblée, la soirée se situa aux antipodes de Rimbaud le Voyant, de Rimbaud aux r&ecirrc;veries interplanétaires et (pour reprendre le mot tout récent d'un grand auteur) "soucoupiste avant la lettre".
Plus sceptiques que Saint-Thomas, M. André George n'a pour sa part jamais cru ni vu "ce que l'homme a cru voir". Il tient pour un mythe les soucoupes volantes et leur cortège de cigares, de disques, de boules de feu, de rayons verts et de martiens.
A "toutes ces fables qui dénotent une dérisoire faiblesse d'imagination", le conférencier préfère - et il le dit sans ambages -le classicisme du génial La Fontaine, ou encore le merveilleux des contes d'Andersen, pour ne pas parler de Cocteau.
Avec une rigueur souriante mais implacable, M. André George invoque complaisamment ses nombreux et illustres ami du monde des sciences et bat en brèche les arguments soucoupistes.
Bien s&ucirrc;r, il lui est impossible de réduire d'un seul coup ce mythe en fumée. M&ecirrc;me en faisant la part très belle à la suggestion et à l'hallucination mentale, l'on ne saurait éliminer la totalité des quelque dix mille témoignages recueillis depuis 1947, relativement aux "objets célestes non identifiés". Mais les témoignages réputés les plus sérieux ne sont pas faits pour intimider M. André George qui, solidement documenté a réponse à tout:
"Ce que l'homme a cru voir?" Tout un éventail d'illusions d'optiques dues aux phénomènes naturels les plus variés: mirage, inversion de température, faux soleil...
D'autre part, aux personnes qu'abusent un sens critique infantile, tout peut devenir soucoupe, sillage d'un avion à réaction, condensation de carburant, ballon-sonde, fusée d'expérience, voire m&ecirrc;me une simple araignée brillant dans le soleil!
Aussi, pour M. André George, aucun doute: l'aventure des soucoupes volantes se réduit à une épidémie d'illusions et d'hallucinations (à laquelle il pourrait d'ailleurs ajouté les mystifications) et relève de la psychiatrie...
"Nous sommes à une époque très curieuse. Avant de nous gausser de l'obscurantisme du Moyen-Age, il convient de faire notre autocritique. Chaque époque a son mythe: après les fant&ocirrc;mes, les revenants, l'espionnite, voici maintenant les soucoupes volantes. En 1914, tout inconnu était pris pour un espion; en 1940, pour un parachutiste; aujourd'hui pour un martien... Un immense courant d'imagination draine le go&ucirrc;t du merveilleux et la propension à l'inexplicable. Ça commence par des galéjades et >ça finit par des coups de fusil. C'est pourquoi la généralisation des billevesées est non seulement un scandale intellectuel mais t&ocirrc;t ou tard, un danger public. Le visiteur du soir, l'étranger de passage, le campeur court maintenant le gros risque d'&ecirrc;tre promu à la dignité de cible martienne..."
M. André George ne craint pas d'ouvrir le volumineux dossier des soucoupes volantes. Il fait l'historique de la question. C'est un industriel américain, Arnold, qui en 1947, fut l'inventeur de la première "flying saucer": Excellent nom de bapt&ecirrc;me pour la publicité, et qui, traduit en chaque langue, a impressionné et conquis les foules...
Si, le 7 janvier 1948, - toujours aux Etats-Unis, le chef d'escadrille Mantell, s'est écrasé au sol après avoir, jusqu'à 7.000 mètres, donné la chasse à une "soucoupe" c'est tout simplement parce qu'il se trouva en panne d'oxygène; aucun martien de le désintégra en plein vol... C'est ainsi que les "flying saucers - qui n'existent pas - firent leur première victime.
D'ailleurs, après deux ans de recherches et de controverses, la commission américaine d'enqu&ecirrc;te a conclu par le rejet de l'hypothèse soucoupiste. Point de vue partagé à raison à l'appui, par l'astrophysicien de Harvard - Manzell [sic, Menzel], et les techniciens français de l'O.N.E.R.A. (Office national d'études et de recherches aéronautiques) et du C.E.V. (Centre d'essais en vol) de Brétigny... Les centres d'études des "objets non-identifiés" poursuivent sans résultat leurs investigations aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne... En fait, sur le phénomène dit "soucoupes volantes", l'on a enregistré extr&ecirrc;mement peu d'observations émettant de personnes qualifiées.
A l'exception de l'ouvrage de Manzell, tous les livres "soucoupistes" mis en circulation relèvent de la plus haute fantaisie - tout en demeurant prisonniers d'une indigence imaginative frappante.
Bien s&ucirrc;r, l'on a parlé - indépendamment des soucoupes martiennes - d'engins aériens terrestres (s'il est permis de s'exprimer ainsi). Engins téléguidés ou à l'essai, qui échappent aux lois de la mécanique, de la pesanteur et de l'aérodynamique. Comme si de tels engins (en admettant qu'ils soient un jour réalisables) se risqueraient imprudemment dans tous les cieux! Singulière conception d'une "arme secrète"! Aussi la théorie du lieutenant Plantier a-t-elle fait long feu malgré son ingénieuse référence à l'utilisation du champ de force des rayons cosmiques. Certes, à coups d'équations on peut toujours (surtout auprès du profane) démontrer tout ce qu'on veut. M. André George, quant à lui, est bien résolu à ne pas se laisser prendre au piège de ce qu'il appelle un "aimable canular".
Une estocade de plus et voici dégonfler le bibendum martien, grande vedette interplanétaire que l'on voit aujourd'hui inspirer jusqu'aux panoplies d'enfants. Le martien fait fortune, embrassant les jeunes filles et effrayant les petits p&acirrc;tres. Mais, à l'instar de ses supporters terriens, il manque beaucoup d'imagination. Sa tenue favorite de robot ou de scaphandrier en fait un inconnu somme toute très connu. Pour le représentant supposé d'une humanité très en avance sur la n&ocirrc;tre, c'est plut&ocirrc;t vexant.
Au fait, pourquoi des martiens sont-ils, ici et là signalés comme passager des soucoupes volantes? M. André George tient l'explication toute pr&ecirrc;te: nos p&acirrc;les astronautes de maintenant ne sont que la rémanence de la déjà vieille "Guerres des Mondes" que popularisa Wells. La "guerre des mondes", au moins était un roman d'anticipation bien fait, et valait par sa puissance d'enchantement et de mystère....
Après le martien, il ne reste plus à M. André George qu'à détruire la réputation de la planète Mars elle-m&ecirrc;me: il ne s'en fait pas faute.
Pas d'oxygène, des conditions climatiques glacial ; tel ce présence est décevant de banlieue céleste. à l'extr&ecirrc;me rigueur, des lichens ils peuvent végéter ; mais une vie supérieure, allons donc!
Et indépendamment de la planète rouge aux imaginaires canaux?
Faut-il croire à la pluralité des mondes habités? Y a-t-il place pour une humanité supérieure à la n&ocirrc;tre? Et quand bien m&ecirrc;me cela serait, quelle chance de pouvoir franchir les espaces interplanétaires?
Las! Les archipels sidéraux de M. André George sont désespérément désert; aucun Robinson sans doute n'y viendra jamais aborder...
Très honn&ecirrc;tement, le conférencier admet que "nous sommes entourés d'inconnues en sciences, et qu'il existe encore des phénomènes naturels mal débrouillés". Il est permis de s'intéresser aux soucoupes volantes: il y a pas de sujet scientifique ou antiscientifique en soi, mais seulement une manière scientifique de traiter n'importe quel sujet.
L'on saura gré à M. André George de ne pas s'&ecirrc;tre départi un instant de cette règle de conduite. Sa conférence était digne d'un cours en Sorbonne.
Pour nombreux et massif qu'il soit, ses arguments auront-ils été tous convaincants? Forcés dans leur dernier retranchement, les "soucoupistes" ont-ils aujourd'hui cessé de l'&ecirrc;tre? On ne le saura pas, puisque la séance est levée sans que l'auditoire puisse risquer des questions. Il n'était pourtant que 22 h. 20... Un débat eut été passionnant, mais risquait, il est vrai, de se prolonger fort avant dans la nuit...
Pierre MILLY