L'article ci-dessous est paru dans le quotidien La Croix, PAris, France, le 16 octobre 1954.
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Les soucoupes et cigares volants qui font lever les têtes et les tournent aussi, ne pouvaient pas, évidemment, ignorer le ciel breton. Depuis une quinzaine de jours, ils se montrent un peu partout, de Quimper à Rennes et de Saint-Brieuc à Landerneau, sous des formes et avec une luminosité variable. Il y a même eu, à Loctudy, cette étrange apparition d'un petit bonhomme de 1 m. 20, velu et aux yeux ronds... Passons.
Or, ces phénomènes, dont on ne sait rien, ont dû bien fait rire quelques vénérables centenaires achevant leur verte vieillesse en Armorique. Sans avoir consulté aucune de ces fins de siècle, je suppose que l'une ou l'autre d'entre elles a dû rétorquer à la nouvelle de ces voyages de soucoupe et de cigares: "Mais jadis nous connaissions les "poëles volantes"...
Ne haussez pas les épaules, les poêles volantes ont existé. Tout au moins jadis, on parlait d'elles avec sérieux et avec certitude. Même, on les redoutait. Car elles annonçaient qu'un moribond rendait l'âme. Ce qui n'était pas, à vrai dire, un sujet de plaisanterie.
C'est dans un étonnant livre, récemment paru, mais préparé depuis 18 ans, que j'ai découvert la chose. Celui d'un chartistes, M. Henri-François Buffet, archiviste à Rennes, qui a voulu dresser un mémorial des plus anciennes traditions du pays gallo avant qu'elles ne disparaissent (1). Précisons-le tout de suite, M. Buffet n'a pas pris prétexte des soucoupes volantes pour écrire son livre. Il ne songeait guère à un tel rapprochement, puisqu'il était à glaner et à amasser tout ce qui appartenait hier au pays gallo et en faisait le charme, depuis la langue, les mœurs, jusqu'à l'habitat, les meubles, l'art, etc.
Les poêles volantes étaient rangées dans la catégorie des "étavas". Le mot, dont l'étymologie demeurent inexpliquées, ne dit plus rien aujourd'hui aux bretons dans leur majorité. C'étaient des phénomènes célestes, des signes, des présages de mort, qui se multipliaient autant sans doute dans l'imagination de nos ancêtres qu'au dessus de leurs terres. Ils avaient tantôt la forme de cierges qui s'allumaient et s'éteignaient trois fois dans les cours des fermes (Penguily, Côtes-du-Nord), tantôt celle de deux chandelles mystérieuses qui étaient plantées et flottaient sur un étang, tantôt celle d'un cierge qui brûlait la tête en bas près d'un puits et ne disparaissait que lorsque survenait le décès présagé.
Ces cierges avaient d'autres manières de se présenter et de se conduire, suivant les régions. A Redon, leur lumière était dirigés vers la terre tant que le cierge errait dans la campagne, mais redevenait normale quand il apparaissait au pied d'un lit. Dans le Morbihan gallo, il se déplaçait lentement pour venir s'engouffrer dans les maisons marquées du signe de la mort. A Radenac, ils s'appelaient "bluettes" et se distinguaient des "étavas"e qui à Saint-Marcel, était réservés aux personnes mariées.
Les "étavas", brillants comme des étoiles et en forme de poêle, existaient surtout dans le pays de Malestroit et de Josselin. Comme les soucoupes de nos jours, ils avaient l'aspect d'un disque muni d'une queue (Guéhenno, Plumelec). Leur lumière était d'un bleu verdâtre. Ils partaient de la maison natale de celui qui allait mourir (Serent, Plumelec) ou de l'église de son baptême (Guéhenno, Saint-Marcel, Reminiac), se déplaçaient lentement dans le ciel à une faible hauteur, éclaraient tout sur leur passage et tombaient sur le foyer ou sur la fenêtre de la maison fatale.
Sans doute, est en cela que les poils volante se distinguent des soucoupes et des cigares. Mais n'est-il pas étonnant qu'on y ait cru longtemps?
Qu'étaient-t-ils, ces étavas? Le produit d'une imagination collective. Sans doute. Mais peut-être y eut-il ça et là à l'origine quelques phénomènes planétaires. Car, curieuse coïncidence, la poêle volante avait elle aussi l'aspect d'un disque.
A l'époque, la foi bretonne était trop profondes pour que ses apparitions qui furent sûrement moins nombreuse et moins automatiques qu'il n'était dit alors, demeura se sent cause. On ne demande pas à la science de les expliquer. On se tourner vers l'au-delà. C'est ce qu'on fait encore aujourd'hui. Mais l'au-delà de ce temps ne pouvait être que celui des âmes. Il avait sûrement autant de valeur que celui des martiens.
J. FONTAINE
(1) En Haute-Bretagne, par H. François Buffet. Librairies Celtique, 108, bis, rue de Rennes, Paris VIe. On appelle pays gallo la région où le français est depuis longtemps langue véhiculaire.