L'article ci-dessous est paru dans le quotidien L'Est Républicain, Nancy, France, pages 1 et 7, le 3 novembre 1954.
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[Légende photo:] Ce monde en réduction, sur lequel se penchent les gendarmes de SARREGUEMINES, donne la clé de bien des mystères, de bien des "visions" et de certaines supercheries "interplanétaires".
Dans nos éditions d'hier, en reproduisant, en première page de notre journal, les photographies que Jean Gérault affirmait avoir prises d'une soucoupe volante à une distance de 12 mètres de son lieu d'atterrissage, nous annoncions, tout en entourant les révélations du photographe des réserves qui s'imposaient, que nous ne manquerions pas de tenir nos lecteurs au courant de l'enquête qui allait suivre.
En marge de l'enquête qui n'allait pas manquer d'être ouverte par les autorités, nous nous proposions de mener la nôtre au sujet des révélations de Jean Gérault.
Les résultats de cette enquête ne se sont pas fait attendre. Peu après midi, nous étions informés par notre correspondant à Sarreguemines des déclarations que venait de lui faire un jeune étudiant de cette ville, M. Jacques Halb qui venait de lire notre journal d'hier.
M. Halb informait notre correspondant qu'il était le véritable auteur du montage photographique, qu'il avait réalisé pour s'amuser et jouer un tour à ses camarades. Ce montage, il accusait Jean Gérault de le lui avoir dérobé pour en tirer le profit que l'on devine.
Nous reproduisons plus loin, dans leurs détails, les déclarations de l'étudiant, M. Jacques Halb.
Hier, déjà, nous écrivions dans le compte-rendu accompagnant les photos: "Si trucage il y a, ce trucage en lui-même est un tour de force."
En effet, on doit s'incliner devant l'adresse avec laquelle M. Halb a réalisé son jeu, bien innocent dans son esprit, puisqu'il ignorait le parti qu'allait en tirer le jeune photographe Jean Gérault.
Quant à nous, en portant à la connaissance du public les documents présentés par Jean Gérault et les déclarations qu'il a faites dans notre bureau au cours d'un interrogatoire, nous estimons avoir rempli notre métier d'informateurs. Nous avons fait néanmoins les réserves toutes naturelles qu'impose un ordre de faits tels que l'histoire des soucoupes volantes où le mystère, les contradictions, le fantastique et le fantaisiste se mêlent à des témoignages souvent de bonne foi et fréquemment troublants.
Avant de nous laisser convaincre à moitié, nous avions en particulier attiré à plusieurs reprises l'attention du jeune Gérault, en présence de son père et de son parrain - hommes pondérés et de la meilleure réputation - sur l'importance de ses déclarations et la gravité des conséquences qui, de toute manière, allaient en résulter pour lui. Nous l'avions questionné plus de deux heures durant, le faisant revenir à plusieurs
Suite p. 7
[Légende photo:] Jean GERAULT, l'inventeur de la soucoupe volante de Sarreguemines, prétendait que l'engin qu'il avait vu au bord de la route, dans la nuit du samedi 23, avait au moins 5 mètres de diamètre. L'objet dans la main d'un gendarme, a repris de plus justes proportions.
(Photos Lorrain.)
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[Légende photo:] "Voyez-vous, nous dira M. GERALU père, quelques instants après le retour de son fils (notre photo), on ne connaît jamais ses enfants." (Photo Hugy.)
[Légende photo:]
(Suite de la première page)
reprises sur certaines précisions des circonstances de sa découverte, sans relever de variation ni de lacunes sérieuses dans son récit. Le passé d'honnêteté de sa famille, le crédit s'attachant au nom et à la présence de son père, la sincérité et la fermeté apparente des déclarations de Jean Gérault, enfin, la qualité photographique de ces documents mous ont semblé réduire singulièrement la marge du scepticisme professionnel, et nous interdire de rester indifférents.
Au surplus, l'exposé - qu'on lira plus loin - du mécanisme du jeu, dont M. Gérault a fait une supercherie méditée, montre qu'il était pratiquement impossible de l'éventer. L'auteur du montage et son utilisateur étaintt, en effet, deux personnes différentes, ne se connaissant pas et n'ayant aucun lien, aucun point commun, sauf pour l'un et pour l'autre une réputation irréprochable.
Pourquoi Jean Gérault s'est rendu coupable de cette mystification? Lui-même effondré, n'en a donné aucune explication acceptable.
Une fois pris dans l'engrenage de son mensonge, il n'a pas eu le courage de s'en évader, au point que, conduit sur place, hier matin, par deux de nos collaborateurs, il leur a désigné avec précision et sans sourciller l'endroit "où, disait-il, il avait vu la soucoupe".
Ambition? Goût de la publicité? Désir, partagé par tant de jeunes d'aujourd'hui, de se tailler un rôle au-delà de leur mesure? On ne le saura probablement jamais. Peu importe...
En conclusion de notre article d'hier, n'écrivions-nous pas: "En attendant, il subsistera, dans bien des esprits, et aussi dans les nôtres, un point d'interrogation quant à la nature, à la provenance et même quant à la réalité des soucoupes volantes auquel les documents et le récit que nous publions aujourd'hui n'apportent pas de réponse décisive."
SARREGUEMINES (de notre envoyé spécial):
Jean Gérault s'était montré très à son aise durant tout le trajet, bavardant avec nous en montrant beaucoup de bonne humeur. Arrivé au virage qui précède Welderding, à un kilomètre du village à peu près, il nous fit signe de nous arrêter. Il était environ midi.
Directement, Gérault se dirigea vers un arbre, à droite de la route de Welferding, et nous montra à une douzaine de mètres, de l'autre côté du chemin, l'endroit où il avait vu l'objet. Vérification faite, cet emplacement n'était pas valable: le premier plan, apparent sur le cliché, n'existait plus sur le terrain: de plus, la pente du terrain aurait supposé que la soucoupe été très haut au-dessus de lui. Il aurait dû, pour prendre une série de photos, adopter une position acrobatique peu vraisemblable.
Par contre, vingt mètres au-delà, le paysage cadrait beaucoup mieux avec le document. Géraud, toujours très à l'aise se contentait de nous dire: "C'est drôle, je ne me souviens plus que c'était si près du virage. Et je croyais me rappeler que l'arbre sur lequel je m'appuyais était plus gros."
Mais on pouvait imaginer la présence d'un engin sur le terrain que nous avions devant nous: un terrain dégagé, assez plat, une levée de terrain correspondant à peu près à ce que le document montrait de sol, des broussailles semblables à celle que semblaient dévoiler le cliché, etc.
Bien entendu, rien de tout cela n'était concluant, mais il n'existait pas d'invraisemblances. Non loin de là, il y a quelques petites fermes. Les habitants, interrogés, n'avait rien vu: il était 23 h. 30 et ils étaient couchés. Là encore, on ne pouvait rien prouver ni dans un sens, ni dans l'autre. Par ailleurs, il n'y avait aucune trace dans l'herbe.
Il était alors 13 h. 30. Giraud poussa jusqu'à nous indiquer un restaurant. Au passage, le logeur du jeune homme, M. Léon Bour, se trouvait dans la foule de sarregueminois en effervescence. Il vint lier conversation: "C'est un garçon très sérieux, nous déclare a-t-il, je le connais depuis huit mois, je m'en porte garant."
Pendant ce temps, Gérault disait à M. Bourg, l'air très fier de soi, et toujours sans sourciller: "Vous comprenez, maintenant, pourquoi je l'ai "bouclée" pendant huit jours!..."
Puis il entra d'un pas assuré au restaurant. A peine était-il installé que pénétrait dans la salle le gendarme tritz, envoyé par son chef de brigade. M. Meyer le patron du jeune photographe l'accompagnait: "Levez-vous, dit le représentant de l'autorité et venez avec moi, je dois vous interroger."
Le jeune garçon le prit d'abord de haut, mais en quelques instants, sa superbe était tombée. Le gendarme avait déjà commencé son enquête et il en savait déjà assez pour désarçonner Gérault qui, à bout de nerfs, s'évanouit brusquement.
Ranimé et entraîné dans une petite salle, il commença à avouer. Voici ce qui s'était passé: il s'agissait d'un montage habile réalisé patiemment à ses heures de loisirs par un ingénieur photographe amateur et photographié par celui-ci "pour mystifier ses camarades". Le document photographique avait été porté chez M. Meyer. Gérault, chargé du développement, avait remarqué le film et l'avait tout simplement subtilisé.
Toute l'affaire avait débuté un dimanche, le dimanche 24 octobre, c'est à dire le lendemain du jour où Gérault avait "vu" la soucoupe.
Un jeune homme de Sarreguemines, M. Jacques Halb, âgé de 17 ans, étudiant à Metz, fils d'un ancien magistrat bien connu de la ville, était allé au cinéma. Il avait remarqué un communiqué publicitaire de la "Pie qui chante". Ce communiqué disait à peu près: "Nous offrons un kilo de nos bonbons à qui pourra nous apporter une photo de soucoupes volantes."
Jacques Halb fût-il frappé par cette offre alléchante? Toujours est-il que, le lendemain, il décidait, pour son propre plaisir, bien entendu, de mettre à exécution ce projet.
Rien n'était plus simple pour cet esprit ingénieux et original. Ses parents étaient allés chercher, la veille, de la mousse dans les champs pour leur tortue, cette mousse devint le terrain idoine. Quelques morceaux de brique pilée, gros comme un ongle, formèrent le relief du sol. La soucoupe, ce fut tout simplement un rond de fourneau de 12 centimètres de diamètre; la coupole supérieure était une ampoule électrique sciée à la lime, la coque avait été moulée avec de la terre glaise sur le rond de fourneau. L'antenne était tout simplement un fil de cuivre, de 5 centimètres de haut, planté dans la terre glaise. La soucoupe était fabriquée.
Il restait à créer une certaine ambiance autour d'elle: une boîte en carton coupée sur un côté servit de cadre. En fond de tableau, des papiers carbone créèrent l'illusion de nuit noire. Trois lampes convergentes sur le tableau: deux de 40 watts, une de 60 watts. Un peu de fumée de cigarette pour donner l'illusion du flou et de l'infini. Tout était prêt pour la photo.
M. Halb avait un appareil Kodak 6x9. Il le posa à 13 centimètres de son paysage, après avoir muni l'objectif d'une lentille grossissante. Il suffisait de faire l'obscurité dans la pièce et d'appuyer sur le contact. Jacques Halb prit coup sur coup quatre photographies. Le tour était joué.
Il avait mis trois heures à composer son tableau. Quatre minutes avaient suffi à réaliser les documents. Il restait à les faire développer.
Le lendemain mardi, il se rendit chez M. Meyer, fut reçu par l'épouse de celui-ci, lui remit son film et n'y pensa plus.
Le film passa entre les mains de Jean Gérault.
D'après ses dires, celui-ci développa le film le soir même. Quelles idées passèrent alors dans son cerveau? Il se souvenait avoir vu, quelques jours avant, un film qui l'avait fortement impressionné: "La guerre des mondes". Il entendait parler de soucoupe volante tous les jours. Peut-être voulut-il se créer un personnage, auréolé son prestige auprès de ses camarades? En tout cas, il est certain qu'il ne se rendait absolument pas compte de l'ampleur que pouvait prendre cette affaire.
De toute façon, il n'eut aucun scrupule. Il s'empara du film, le développa, le trouva curieux et... le mit dans sa poche. Le lendemain, le légitime propriétaire du rouleau devait venir le reprendre. Rien n'était plus simple. Gérault récupéra sept pellicules blanches, les mit dans un sachet, y joignit une des pellicules du film réel, sous-exposée et indéchiffrable, et les fit remettre par Mme Meyer à son client.
Le tour de passe-passe était malhabile: Gérault avait choisi plusieurs bouts de films parfaitement reconnaissables aux yeux d'un habitué de la photographie, et de couleurs différentes. Mais l'étudiants, à qui l'ont dit que les photos étaient ratées, n'eut pas l'idée d'y regarder de si près.
Il avait donc le film en négatif. Il attendit une semaine et, à son retour à Vézelise, pour les fêtes de la Toussaint, il réalisa le positif qu'il montra à son père.
Celui-ci, de bonne foi, s'enflamma pour la "découverte" de son fils et, lundi soir, conduisit Jean Gérault, accompagné de son parrain, à Nancy, pour y faire les déclarations que l'on sait.
Jacques Halb, en voyant mardi matin le journal dans tout le monde parlait à Sarreguemines, s'écria: "Mais ce sont mes photos!"
Il alerta notre correspondant, puis la gendarmerie et Gérault était accueilli à Sarreguemines de la manière que nous avons révélée.
La population de Sarreguemines qui, à 13 heures, avait reçu le jeune homme comme un héros, se pressait autour de lui, lui faisant cent fois raconter son histoire, le prenait maintenant, à juste titre, pour un écervelé peu scrupuleux.
Et Gérault, pendant son retour, attendait avec inquiétude le moment de comparaître devant son père.
Laissons-le à ces confrontations et formulons l'espoir que l'extravagante aventure dans laquelle il s'est jeté contribuera, pour le moins, a tempérer pour un certain temps l'extraordinaire psychose des soucoupes volantes.