Comme je suis d'un naturel sceptique, je préfère donc examiner de près ce qui fonde cette idée plutôt que de l'accepter comme valable sans faire de vérifications.
J'ai constaté que cette absurdité, et ces rapprochements avec des phénomènes dits paranormaux, reposent sur un certain nombre d'erreurs souvent colossales et une casuistique qui ne révèle aucun "paranormal" mais bien du "normal", le plus souvent effectivement sans réel rapport avec la question des OVNIS.
Comme il ne suffit pas de le dire, je publie une collection des raisons qui fondent mon opinion:
"Je le confesse franchement: j'ai oublié complètement que j'étais un scientifique de profession quand j'ai commencé le manuscrit de "Chronique des apparitions extra-terrestres"." [1]
Source:
C'est Jacques Vallée qui rapporte l'histoire. Il ménage le suspense quant à l'identité du témoin, qui est le célèbre Goethe, selon le livre 6 de son autobiographie, d'après Kenneth Anger qui l'a lui a signalée.
Le récit est donné ainsi, les événements se déroulant en septembre 1768:
"...il avait 16 ans et se rendait à l'université de Leipzig. Le voyage était pénible sous une pluie battante et dans les côtes, les voyageurs devaient descendre pour soulager l'effort de ces chevaux. Au cours d'une de ces marches forcées, il remarqua un phénomène étonnant: "Soudain, dans un ravin à droite de la route, je vis une sorte d'amphithéâtre, merveilleusement illuminé. Dans un espace en forme de tuyau brillait un nombre incalculable de petites lumières posées comme des marches les unes sur les autres. Elles brillaient si fort que l'oeil en était ébloui. Mais ce qui troublait le plus dans cette vision, c'était que les lumières n'étaient pas fixes, elles sautaient de-ci, de-là, allaient de haut en bas et vice versa, dans toutes les directions. Le plus grand nombre d'entre elles pourtant restaient stables et rayonnaient. C'est avec la plus grande répugnance que je consentis, lorsqu'on m'appela, à m'écarter de ce spectacle que j'aurais bien désiré examiner de plus près. Le postillon, quand je l'interrogeais, déclara qu'il n'avait jamais eu connaissance d'un tel phénomène, mais qu'il y avait dans le voisinage une ancienne carrière de pierre dont l'excavation était remplie d'eau. Reste à savoir maintenant si cela était un pandémonium de farfadets, ou une assemblée de créatures lumineuses, je ne saurais décider." [2]
Source:
Plus tard, un médecin s'intéressant à l'ufologie, Jacques Scorneaux, et Christiane Piens, donnent une version nettement "soucoupisée" par apport au récit donné par Vallée qui est pourtant donné en référence, il écrit - en gras les mots injustifiés par rapport au récit -:
Le jeune homme remarqua un étrange objet lumineux dans un ravin. ... S'agissait-il de feux sur l'engin ou de petits objets mobiles? [3]
Source:
Vallée pose à ses lecteurs à la suite du récit, il me semble, de manière un peu ambiguë, la question: Goethe n'aurait-il pas fait la déposition d'une observation d'OVNI et d'occupants s'il avait vécu de nos jours?
Je ne sais pas répondre à une telle question; il faudrait prendre au sérieux une série de suppositions pour répondre par l'affirmative ou la négative. Mais nous pouvons imaginer que Goethe m'ait transmis son témoignage, et voir ce que j'en dis, en tant qu'ufologue, en 2005.
Je ne suis pas un ufologue qui professe que les histoires de fées et autres histoires des anciens temps sont "pareilles aux OVNIS." Vallée utilise cette notion tantôt pour en déduire que les OVNIS ne sont pas extraterrestres puisqu'ils sont "comme les fées", tantôt pour dire que les fées sont des sortes "d'ultraterrestres" ou des "choses interdimensionnelles" et donc les OVNIS également.
En réalité, il semble le plus souvent dire qu'il ne sait pas quoi penser. Ceci n'a pas empêché malgré son avertissement de prudence en début d'ouvrage, notamment quand il fait remarquer qu'il n'écrit pas l'ouvrage en adoptant une stratégie scientifique, ceci n'a pas empêché donc, certains d'en déduire des thèses diamétralement opposées. L'une est que puisque les fées n'existent pas, les OVNIS n'existent pas non plus, étant donné que fées et OVNIS sont un même phénomène. L'autre a été que puisque c'est un même phénomène, les fées ne sont rien d'autres que des visiteurs extraterrestres, décrits dans la langue du passé.
Je choisis moi plutôt de chercher l'explication de ce cas. Voyons donc le rapport de notre témoin Goethe de plus près.
Bien qu'il y ait là un témoin unique, ce qui suffirait à écarter le récit comme absolument non confirmé par des témoins indépendants, bien que le statut de Goethe ne lui assure aucunement une capacité d'observateur compétent de la nature mais plutôt de quelqu'un ayant pour occupation de rendre la nature plus merveilleuse qu'elle ne l'est, il est possible de réfléchir rationnellement afin de trouver ce qu'il décrit.
Il voit dans un ravin une sorte d'amphithéâtre. Oublions l'interprétation qui est théâtrale au propre comme au figuré, notons qu'un amphithéâtre n'est pas un OVNI, car il ne vole pas et n'est pas "non identifié". Goethe nous parle d'une sorte d'amphithéâtre, donc il y a une sorte de relief en demi-cercle, qui se détache sur le fond du paysage, quelque chose qui se remarque. C'est là une anomalie assez peu anormale, notons-le, quelque chose de bien peu étrange dont je ne comprends pas par quelle aberration il faudrait en faire un vaisseau spatial.
Goethe ne connaît pas la région, il n'est donc pas étrange qu'il y voit une caractéristique qu'il ne comprend pas bien. Dans les enquêtes ufologiques modernes, c'est là un point-clé: nous savons, ou nous devrions savoir, qu'il y a une différence entre voir une "anomalie" en terrain parfaitement familier, et voir une "anomalie" en un endroit avec lequel on n'est pas familiarisé du tout, y passant pour la première fois et en pleine nuit comme nous pourrons le montrer.
Là, tout enquêteur devrait se demander si quelqu'un qui serait plus familiarisé avec les lieux pourrait aider à identifier cette sorte d'amphithéâtre.
Et bien, par chance, Goethe lui-même s'est chargé de cette vérification: il interroge plus tard le postillon, et celui-ci donne la solution: une ancienne carrière de pierre.
Les enquêteurs expérimentés savent comme moi que les solutions simples, quand il y a des solutions simples, sont involontairement ou inconsciemment données par les témoins eux-mêmes.
Nous avons donc des raisons de penser que la "sorte d'amphithéâtre" est cette carrière, comme le postillon le suggère, et non pas un OVNI, ni un vrai amphithéâtre.
Maintenant, le rapport contient d'autres éléments apparemment étranges. Le suivant est celui du "nombre incalculable de petites lumières." Celles-ci sautent de haut en bas, sauf le plus grand nombre qui ne bouge pas.
Goethe a donné sa description; oublions son interprétation "pandémonium de farfadets" et voyons si sa propre autre alternative, "créatures lumineuses", serait la bonne. En effet, lui-même hésite entre les deux, indiquant que cela "reste à savoir" et qu'il pense qu'il l'aurait su s'il n'avait pas consenti à s'éloigner quand il a été appelé, et avait plutôt été voir de près. Cela indique qu'est est rationnel face à l'observation. Cela indique aussi la nature peu étrange de l'observation: après tout, s'il est si peu sûr que ce sont des farfadets qu'il envisage tout aussi bien que ce soient une assemblée de créatures lumineuses, c'est que le côté "farfadet" des créatures est loin d'être réellement observé.
Existe-t-il de telles créatures lumineuses, qui ne seraient pas des farfadets, mais des créatures lumineuses bien ordinaires?
Oui.
Une fois que j'ai eu l'idée de cette explication, j'ai naturellement pris quelques renseignements sur ces insectes. Je savais ce qu'est une luciole, qu'elle produit une lumière, j'imaginais sans peine qu'une assemblée de luciole soit de l'ordre du possible, je connaissais l'assimilation entre fées et lucioles dans l'imaginaire populaire, mais enfin je ne suis pas hexapodiste et je voulais vérifier s'il y a des points d'adéquation ou d'inadéquation entre les lucioles et le récit de Goethe qui m'auraient échappé.
Un premier point était de voir s'il existe effectivement quelque chose comme des rassemblements de lucioles. Goethe évoque une "assemblée", et il ne ment pas, il n'exagère pas: c'est bien le cas, il y a des assemblées de lucioles. La photographie ci-dessous laisse bien voir à quel point cela pourrait être impressionnant, "un nombre incalculable" et une "illumination merveilleuse", comme l'a écrit Goethe:
Une deuxième chose est que Goethe décrit le comportement des créatures lumineuses: le plus grand nombre restait fixe, et d'autres sautaient de ci de là.
Il se trouve que c'est justement un comportement connu des assemblées de lucioles: les femelles émettent leur lumière en restant fixes au sol, tandis que les mâles paradent en faisant des sauts occasionnels soudains avec une trajectoire en forme de J renversé, sur des hauteurs de l'ordre de 1 à 2 mètres, lumière allumée. Ce a quoi les femelles au sol répondent par leurs propres lumières.
Là encore, Goethe n'a rien inventé ni exagéré.
Les lucioles n'émettent aucune lumière visible de jour. Le récit ne le précise pas, mais évidemment, il doit faire nuit, et cela explique très bien que le paysage naturel soit mal compris, et que Goethe évoque "une sorte d'amphithéâtre" qui fait fort logiquement rappeler qu'il y a là des carrières au postillon, qui lui, connaît sans doute assez bien la région.
Je ne puis évidemment pas apporter de "preuve définitive" de l'explication par les lucioles; mais enfin, disserter sur "l'absurdité des extraterrestres", sur les farfadets lumineux et autres vaisseaux mère à partir d'un récit aussi simplement et facilement explicable me semble être parfaitement injustifié.
A noter que le spectacle des lucioles, qui n'était pas quelque chose d'extrêmement courant là en ce temps, est devenu encore bien plus rare en Europe actuellement; la cause principale en est l'utilisation des insecticides que ces insectes ne supportent pas bien du tout.
Ci-dessus: Fées et lucioles liés dans l'imagerie populaire, encore aujourd'hui.
Ci-dessus: Luciole (Xexapoda: Coleoptera: Lampyridae).
Goethe n'a vu ni engins extraterrestres ni farfadet ni phénomène paranormal. Comme le sont généralement les descriptions des témoins, et malgré son statut de poète, sa description est suffisamment correcte, et elle indique qu'il a vu une assemblée de lucioles.
Il est parfaitement injustifié de faire valoir une "absurdité des extraterrestres" à partir de ce récit qui ne décrit absolument pas des engins extraterrestres ni leurs occupants. La seule absurdité serait de voir ici autre chose que des lucioles.