L'article ci-dessous est paru dans le quotidien Ce Soir, France, page 2, le 16 avril 1948.
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Un journal strasbourgeois a récemment donné cette nouvelle, dont l'authenticité fut prouvée par le témoignage unanime d'innombrables lecteurs: le ciel alsacien est sillonné d'engins inconnus, de soucoupes volantes, de V1, de V2, de V3 et la suite, de fusées radio-dirigées, de bombes apparemment atomiques, d'avions sans pilote, d'appareils mystérieux et phosphorescents (c'est clair!) à tel point que la voûte céleste en est toute encombrée et qu'un Code de la route aérienne devra bientôt être édicté, afin d'empêcher que n'explosent, en se rencontrant malencontreusement, deux engins également inconnus, également mystérieux et chargés l'un et l'autre de mort subite.
Et le premier engin inconnu qui ne respectent pas le réglement, on lui dressera contraventions.
L'émotion était, comme on dit quan on est un journaliste de vieille souche, à son comble. Dans l'âme des citoyens pacifiques, temps de guerre froide jeté un froid. Telle était la terreur des braves gens épouvante et par la proximité du grand boum que la vente des lunettes astronomiques connaissaient elle-même un boum non moins grande. Chacun scruter le ciel. Il est question dans Le Bossu, mélodrame adorable, d'une mortes qui marche et qui parle dans sa tombe, au lieu d'y dormir. Chaque strasbourgeois passait ses nuits à scruter les espaces infinis, et, pour la fenêtre ouverte sur la guerre qui vient, délaissait le lit conjugal, au lieu d'y dormir. Et les avis concordaient: c'est plein de soucoupes volantes, là-dedans!
Sur quoi, agacé, l'Observatoire de Strasbourg fit savoir à ses concitoyens que la planète Vénus brille en cette saison d'un éclat particulièrement vif, qu'il en va de même chaque fois qu'elle revient à sa phase actuelle, que ce phénomène fut observé en des temps où l'Union Soviétique ne menaçait pas Costa-Rica d'une annexion subite, et que le péril vénérien n'est pas ce qu'un vain peuple d'astronomes amateurs pensait.
Si bien qu'à supposer que deux engins mystérieux se carambole, ce qui tomberait sur Strasbourg, ce serait deux canards.
Pauvre Vénus, qui aurait cru qu'elle prendrait un malin plaisir à se camoufler en soucoupe et à perturber les nuits des amants d'Alsace? Dis-moi, Vénus, chante-t-on dans La Belle Hélène, quel plaisir trouves-tu à faire ainsi cascader ma vertu? La première vertu d'un observateur est l'objectivité. Mais allez donc regarder le ciel avec sang-froid quand, dès votre réveil, pendant que vous vous faites la barbe, pendant que vous déjeunez, pendant que vous vous promenez tout le long de l'Ill, le long de l'eau, pendant que vous embrassez votre femme et pendant qu'elle vous dispute, la presse, la radio, les gouvernements et les gogos inventent des tensions et supputent la date et la stratégie de la troisième dernière, la guerre la plus inévitable in the World!
Pascal disait, et chaque soucoupe volante pourrait dire à l'Alsacien qui la découvre: "Tu ne me chercherait pas si tu ne m'avait jamais trouvée." Trouvé dans ton journal, dans ton poste radio, dans les discours volontairement catastrophiquea de ton député.
Le plus navrant est que de toute évidence, le journal strasbourgeois s'est dit: des soucoupes volantes dans le ciel alsacien, c'est tout à fait dans notre ligne! Tout ce qui affole est nôtre, tout ce qui convainc les pauvres gens qu'ils seront pulvérisés demain à quinze heures fait notre affaire!
Certes, avant de publier ces observations de lecteurs, le journal en question aurait pu consulter l'observatoire de sa ville:
- Plus tard, aura dit le directeur. Je n'ai pas confiance dans les savants. Ils ne comprennent rien à la politique. Ils sont fichus de dire que c'est une planète!
