Voici le texte de la conférence présentée par Gildas Bourdais au 10ème symposium de Saint-Marin, les 9 et 10 mars 2002, dont le thème était: "Les ovnis, l'ufologie et la reconnaissance institutionnelle."
Le scepticisme sur l'existence même des ovnis prévaut encore dans de nombreux pays, parmi les scientifiques et les intellectuels. Pour beaucoup d'entre eux, les ovnis appartiennent au domaine des croyances "irrationnelles" et des "pseudo sciences." Cette attitude est encore très présente en France, où le "rationalisme" est prédominant depuis au moins deux siècles. D'un autre côté, les ovnis sont étudiés officiellement au Centre National d'Etudes Spatiales (CNES/SEPRA). Ainsi, la situation n'a jamais été complètement bloquée en France.
La plupart des journalistes des grands médias ont suivi respectueusement ce point de vue sceptique, qu'ils ont perçu comme "scientifiquement correct." Cependant, il pourrait y avoir une discrète évolution en cours, encouragée notamment par la découverte de nombreuses planètes extrasolaires. En France, il y a eu récemment quelques signes de changement, tels que la publication du rapport du COMETA en juillet 1999, et la diffusion du film OVNIS: le secret américain, sur la chaîne France 2 en septembre 2001.
Le scepticisme sur les ovnis a été entretenu pendant un demi-siècle par la politique officielle du secret maintenue dans certains pays, principalement les Etats-Unis d'Amérique. Cependant, de plus en plus de témoins ont parlé des opérations secrètes, et il pourrait même y avoir une politique discrète de levée progressive du secret.
Apparemment, le scepticisme sur les ovnis est encore l'opinion prédominante parmi les scientifiques et les intellectuels, spécialement en France qui demeure un bastion du "rationalisme." Une petite minorité s'y est intéressée mais est restée le plus souvent silencieuse et anonyme. Dans les médias français, les ovnis ont été longtemps tournés en ridicule, parfois gentiment, comme dans ces films typiques que sont La soupe aux Choux, et Le gendarme et les extraterrestres qui relate une confrontation près de Saint-Tropez! Mais les choses sont peut être en train de changer petit à petit, comme je vais essayer de le montrer.
Le scepticisme sur la réalité des ovnis, et sur "l'hypothèse extraterrestre," ou "HET," existe à des degrés variés, du rejet total au scepticisme mesuré. Passons en revue quelques points de vue courants, en commençant par les plus négatifs, ceux du rejet a priori.
1 - Il n'y a aucune preuve solide de l'existence des ovnis.
C'est le premier degré de la négation du phénomène ovni, qui est commun à tous les sceptiques. Par exemple, le Dr Jacqueline Mitton, astronome chargée de presse de la Société royale britannique d'astronomie, a fait cette déclaration à la presse le 15 septembre 1999, en annonçant la parution du livre A Debunker's Guide to UFOs:
"Il n'y a absolument aucune preuve que la Terre ait été visitée par des êtres venus d'ailleurs."
C'est une position si radicale qu'aucune discussion n'est possible avec elle.
Un point de vue particulier a été exprimé par l'astronome américain Carl Sagan dans son livre Cosmic Connection ou l'appel des étoiles (1973, traduit en 1975): il a pu y avoir quelques visites extraterrestres dans le passé, mais pas de nos jours car il n'y a pas d'ovnis. Je n'ai pas besoin de souligner l'influence qu'a eue Sagan dans les médias, et combien il a été efficace pour jeter le doute sur les ovnis. Beaucoup le soupçonnent d'avoir fait cela comme participant à la politique américaine du secret, avec d'autres scientifiques tels que Donald Menzel et Edward Condon.
2 - Nous sommes sans doute seuls dans l'univers, car notre existence même est un "accident" de l'évolution aveugle. C'est un point de vue "rationaliste" classique exprimé par exemple par Stephen Jay Gould, très médiatique professeur de géologie et de biologie à Harvard, dans de nombreux livres, tels que La vie est belle (1989, traduit en 1991). En France, le biologiste Jacques Monod, prix Nobel pour ses travaux sur l'ADN, avait comparé l'apparition de la vie au fait de gagner le grand prix à la loterie, dans son célèbre livre Le hasard et la nécessité (1970).
Le physicien britannique Stephen Hawking écrit dans son dernier livre L'univers dans une coque de noix (2001, page 171):
"Si des extraterrestres étaient déjà venus, nous serions forcément au courant - les choses se seraient passées comme dans Independance Day plutôt que comme dans ET"… "Quand nous explorerons notre galaxie, nous découvrirons donc peut-être des formes de vie primitives, mais certainement pas des créatures semblables à nous."
Cependant, malgré ces fortes paroles de Stephen Hawking et d'autres scientifiques réputés, nous pouvons spéculer que cela tend à devenir, peu à peu, un point de vue minoritaire, non seulement dans le public (comme le montrent les sondages) mais aussi dans le monde de la science. La découverte rapide de planètes extrasolaires en nombre de plus en plus grand ces dernières années, pourrait être, avec le temps, un facteur fort en faveur de l'opinion que nous ne sommes pas seuls. Et cela pourrait aider à la réouverture de la question ovni.
3 - Une opinion comparable, bien qu'opposée, est la croyance religieuse traditionnelle que nous sommes les seuls enfants de Dieu, créés à Son image, et que nous donc seuls. Mais, là aussi, cela pourrait devenir une position minoritaire parmi les théologiens. Le Père Corrado Balducci nous a donné une opinion différente, à cette même conférence, il y a juste trois ans en 1999. En France, une ouverture similaire est apparente dans un livre récent, Dieu, l'Eglise et les Extraterrestres (2000, livre collectif dirigé par Alexandre Vigne).
4 - Il y a peut être quelques rares autres civilisations, mais les voyages interstellaires sont impossibles, ne serait-ce qu'à cause de la limitation de la vitesse de la lumière. Cela a été, pendant longtemps, l'opinion prédominante, "scientifiquement correcte." De nouveau, elle semble être graduellement dépassée aujourd'hui, avec les nouvelles perspectives scientifiques pour les voyages spatiaux.
5 - Les voyages spatiaux sont possibles en théorie et, s'il y avait d'autres civilisations, elles auraient dû visiter la Terre depuis longtemps: "Où sont-elles?," s'est demandé le physicien italien Enrico Fermi il y a plus de cinquante ans. Bien entendu, cet argument repose sur la supposition qu'il n'y a aucune preuve de l'existence des ovnis. En conséquence, les voyages interstellaires sont impossibles ou très difficiles, ou il se peut que nous soyons seuls dans l'univers. C'est sans doute l'opinion scientifique la plus fréquente aujourd'hui. Ce "paradoxe de Fermi" a été commenté récemment dans de nombreux articles de la presse française. Il semble négatif à première vue, mais il pourrait bien être un premier pas sur la route de la reconnaissance des ovnis!
6 - Se présente maintenant le principal argument "psychosociologique":
Les visions d'ovnis et les histoires d'enlèvements par des "aliens," proviennent le la science-fiction. Ce sont des "légendes urbaines," de purs produits de notre imagination. Ceci a été une approche très populaire chez les intellectuels en France. Un avocat bien connu de celle-ci, souvent invité dans les médias, a été Bertrand Méheust, professeur de philosophie, avec son livre Science-fiction et soucoupes volantes (1978).
7 - Les histoires d'humanoïdes ne sont pas crédibles, parce que des extraterrestres seraient très différents de nous. Ce sont donc forcément des histoires inspirées par la science-fiction.
Le physicien américain Michio Kaku, dans son livre Visions. Comment la science va révolutionner le XXIeme siècle (1997, traduit en 1999), brosse un panorama audacieux de l'avenir de l'humanité, mais d'un autre côté il rejette toute discussion des "histoires" d'ovnis, inspirées selon lui par la science-fiction. Le seul argument qu'il présente est que les "abductés" disent avoir vu des êtres humanoïdes, semblables à nous. Impossible, dit-il. Des formes de vie extraterrestres seraient forcément très différentes de nous:
"Mais rien qu'à regarder la riche diversité de la vie sur cette planète, nous voyons que la nature a créé des millions de types d'organismes qui sont bien plus imaginatifs que les formes plutôt conservatrices qu'offre la science-fiction, dont la plupart ne sont que des minces variations sur le type du corps humain" (p. 431 de l'édition française).
Kaku est l'auteur d'un très bon livre, Hyperspace (1994, non traduit), sur la physique avancée telle que les théories des "supercordes" qui, incidemment, ouvrent la voie à l'idée de voyage spatial à travers des trous de ver et l'hyperespace. Mais voilà qu'il devient soudain très timide. Il ne semble pas connaître l'idée de convergence vers la forme vivante la plus rationnelle, en l'occurrence la forme "humanoïde." L'astronome britannique Fred Hoyle avait déjà expliqué cela il y a plus de trente ans (dans Hommes et galaxies, 1969)!
8 - Les ovnis sont des engins secrets, de fabrication humaine.
Cette "explication" a été avancée au début des années 50 par des témoins supposés d'engins secrets allemands, mais aucune preuve sérieuse n'en a jamais été fournie. Cela a très bien pu être une manœuvre de désinformation à l'époque. La même question se pose au sujet de spéculations récentes du même genre, telles que dans le livre de Tim Matthews UFO Revelation (1999, non traduit). En France, le livre du physicien Jean-Pierre Pharabod AVNI (2000), titre qui signifie "Arme volante Non-Identifiée," se place dans la même ligne.
9 - Les ovnis ne sont pas extraterrestres, ils viennent d'une "autre dimension."
Il y a des ovnis, mais ce ne sont pas des véhicules ET. Jacques Vallée est le plus connu des auteurs qui ont promu ce genre d'idée. Pour lui, les ovnis sont créés par une mystérieuse "force de contrôle" cachée dans une autre dimension. Ce sont des mises en scène trompeuses pour cacher leur véritable origine, qui n'est pas extraterrestre. En France, Jean Sider a mis cette idée en avant dans de nombreux livres.
Proche de cette idée est la pensée religieuse traditionnelle qui dénonce les ovnis comme étant des manifestations du Diable. Plusieurs auteurs ont suggéré cela en France, tels que Jean Robin et Jean-Michel Lesage. Ces deux lignes de pensée sont en fait très proches. A mon avis, elles ajoutent plutôt de la confusion au problème ovni. Oui, il y a des aspects "à haute étrangeté," comme le dit Linda Moulton Howe dans ses livres, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'êtres extraterrestres dans les environs!
La France est un pays particulier pour l'ufologie car, d'un côté, c'est un fief du scepticisme scientifique et intellectuel, mais malgré cela il y a, depuis plus de vingt ans maintenant, une étude "officielle" des ovnis, en place au Centre National d'Etudes Spatiales. L'ingénieur Jean-Jacques Velasco est l'homme chargé de cette étude et il est ici parmi nous pour en parler.
Hubert Reeves, astrophysicien maintenant en retraite, a été Directeur de recherches au CNRS, le Centre National de la Recherche Scientifique. Il est l'un des scientifiques les plus populaires en France, très présent dans les médias, avec sa barbe blanche et son sourire amical. Il promeut une vue optimiste de l'univers et de notre place prééminente en son sein. Mais, pour lui, les ovnis sont hors sujet: il a dit une fois à la télévision nationale qu'il y a "non-lieu," et il ne veut pas en parler. Je l'ai rencontré une fois brièvement et il m'a fait comprendre cela. A une émission de télévision (FR3 en 1982), il a expliqué qu'il y a probablement d'autres civilisations, mais pas d'ovnis:
"Je suis très sceptique. J'ai passé beaucoup de temps à fouiller les archives mais je n'ai jamais rencontré de cas très convaincants."
Hubert Reeves est le principal invité à la "grande messe" populaire annuelle de l'astronomie, la "Nuit des étoiles," sur le réseau national France 2. En août 2000, le thème était "Mille milliards de planètes," une annonce audacieuse, pourrions-nous dire. Mais pas d'ovnis!
Hubert Reeves à l'émission "La nuit des étoiles"
Hubert Reeves a écrit, avec trois autres scientifiques, Jean Heidman, Alfred Vidal-Madjar et Nicolas Prantzos, un livre populaire appelé Sommes-nous seuls dans l'Univers? (2000) dans lequel ils discutent de la probabilité d'autres civilisations, des perspectives de voyages spatiaux, et des chances des programmes SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence) qui essaient de détecter des signes de vie ET dans les observatoires radioastronomiques. Comme nous allons le voir, ces auteurs sont très représentatifs du monde scientifique français. Dans ce livre, les ovnis sont juste mentionnés dans l'introduction, signée par les trois écrivains qui se sont entretenus avec ces scientifiques, et qui disent de manière expéditive:
"C'est ainsi que, depuis quelques années, l'hypothèse d'une vie extraterrestre a quitté le domaine des vaines spéculations sur les "ovnis," pour entrer de plein droit dans le champ de la recherche fondamentale."
Les auteurs du livre Sommes-nous seuls dans l'Univers?
De gauche à droite: Nicolas Prantzos, Alfred Vidal-Madjar, Jean Heidman et Hubert Reeves
Jean Heidman, astronome à l'observatoire de Paris-Meudon qui est décédé l'année dernière, était le responsable français du programme SETI et l'auteur de plusieurs livres sur le sujet. Il mettait en avant l'argument que la recherche sur SETI était plus "rentable" que sur les ovnis. Nous devons comprendre qu'il ne cessait de se battre pour obtenir des crédits pour le programme SETI français! Il se plaignait que SETI était mal vu et que la France avait toujours refusé de soutenir officiellement ce programme. C'est peut-être la raison principale pour laquelle il s'opposait si violemment aux ovnis. Il alla jusqu'à quitter un programme de télévision en direct parce qu'on y parlait des ovnis: il était effrayé à la seule idée qu'on pourrait le rapprocher de l'étude des ovnis. Pour les rejeter, il faisait référence aux explications de type psychosociologique du sociologue et "expert" en ovnis Pierre Lagrange (page 57), et c'était tout ce qu'il voulait bien en dire.
Dans ce livre collectif, Jean Heidman exprimait cependant une idée intéressante: il pensait que beaucoup de scientifiques refusent d'examiner l'hypothèse extraterrestre parce qu'ils trouvent cette idée "humiliante." C'est une bonne remarque, sur laquelle j'aimerais revenir dans un moment.
Alfred Vidal-Madjar a de nombreux titres. Directeur de recherches à l'Institut d'astrophysique de Paris (un établissement du CNRS), professeur à la prestigieuse Ecole polytechnique, il est l'un des astrophysiciens à la recherche des planètes extrasolaires. Vidal-Madjar penche pour l'idée que nous sommes seuls dans l'univers. A la question "Alors, tout compte fait, serions-nous seuls dans l'Univers?," il répond: "Hélas, j'en ai bien l'impression. Ou heureusement, qui sait? En tout cas, on a plutôt la sensation qu'il n'y a pas grand monde, là-haut. Disons que si nous n'étions pas seuls, cela se saurait!"
Dans le même livre, Nicolas Prantzos, jeune chercheur au CNRS, spécialiste d'astrophysique nucléaire, partage l'opinion de Vidal-Madjar, et ils font tous deux référence au "Paradoxe de Fermi" déjà cité.
André Brahic, dans son best-seller Les enfants du Soleil (1999, pages 312-313), tient des propos parmi les plus durs qu'on ait jamais écrit sur les ovnis:
"Ne nous attardons pas sur ceux qui exploitent la crédulité humaine en racontant des histoires de "soucoupes volantes" ou d'"objets volants non identifiés" - les ovnis … L'idée que des astronautes aient visité la Terre dans le passé pour apprendre aux civilisations anciennes l'essentiel de leurs connaissances est une véritable insulte à l'intelligence et aux réalisations de ces civilisations. Comme dans le cas de l'astrologie, il est déshonorant d'exploiter ainsi la naïveté du public!"
L'astronome André Brahic
Eh bien, un petit nombre de ses collègues ont en fait parlé positivement des ovnis. Mentionnons ici deux astronomes de solide réputation, Guy Monnet et Jean-Claude Ribes, coauteurs du livre La vie extraterrestre (1990) qui contenait un excellent chapitre sur les ovnis. Ribes, maintenant en retraite, a été Directeur de l'Observatoire de Lyon, et Monnet a été Directeur du Télescope de France au Canada et à Hawaï. D'un autre côté, deux astronautes français se distinguent parmi les voix les plus négatives sur les ovnis. Ce sont Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry, qui ont chacun moqué récemment les "croyants aux ovnis" à la télévision.
Voici quelques fiefs historiques du rationalisme français:
- L'"Union rationaliste," orientée politiquement à gauche (avec les astrophysiciens Evry Schatzman, longtemps son président, et Jean-Claude Pecker) ;
- Le "Comité Français pour l'Etude des Phénomènes Paranormaux," qui est le CSICOP français, avec Henri Broch et son groupe, aussi appelés les "Zététiciens" ;
- L'"Association Française pour l'Information Scientifique" (Afis) qui publie un bulletin Science et pseudo-sciences (conseillers scientifiques: Jean-Claude Pecker, Henri Broch, Jean Bricmont, etc.).
On peut avancer l'argument que leur nombre et leur influence dans l'opinion sont maintenant en déclin. Qui s'inquiète aujourd'hui de ce que pense l'Union rationaliste? Un homme comme Henri Broch est encore invité régulièrement dans les médias, mais on peut parier que son influence va diminuer.
La cohorte, qui tend à se réduire, des ufologues sceptiques français
La tendance au scepticisme était devenue prédominante dans l'ufologie française vers la fin des années 70, avec des livres de Monnerie, Barthel et Brucker. Ceux-ci furent suivis par toute une génération de jeunes ufologues, tels que le sociologue Pierre Lagrange, Bertrand Méheust et les adeptes de l'école "psychosociologique," qui furent très bien reçus dans les médias français. Mais leurs rangs tendent à se réduire lentement aujourd'hui.
Le sociologue Pierre Lagrange
Pierre Lagrange et Bertrand Méheust, qui ont été pendant longtemps des sceptiques médiatiques sur les ovnis, semblent avoir changé quelque peu récemment, et ceci pourrait bien être le signe d'un tournant. Méheust, après avoir étudié la vague belge de 1989-1991, a publié un petit livre intitulé Retour sur l'anomalie belge (2000). De même, Lagrange a décidé de s'écarter de ce qu'il appelle l'ufologie "réductionniste." Dans un article publié par la revue belge Inforespace (Juin 2000), il a soutenu qu'il fallait "repartir à zéro." Je ne suis pas le seul à penser qu'il parlait pour lui!
Peu d'intellectuels ont daigné, ou osé, parler des ovnis. Lorsqu'ils l'ont fait, ç'a été le plus souvent pour les jeter dans le puits des croyances "irrationnelles," avec l'astrologie, etc.
En France, un ancêtre de cette approche classique fut Roland Barthes, dans son livre Mythologies (1957). Il épingla en trois pages la croyance aux "Martiens," qu'il qualifia de mythologie "petite-bourgeoise." Il nous faut bien admettre que ce genre de discours méprisant est encore présent en France aujourd'hui.
Parmi ceux qui ont osé s'exprimer sur les ovnis ces dernières années, figurent l'historien Paul Veyne, professeur au prestigieux Collège de France, et Albert Jacquard, généticien et philosophe bien connu.
Tous deux veulent bien supposer qu'il existe d'autres civilisations, mais ils rejettent encore les ovnis. La question est: combien de temps une telle attitude va-t-elle encore durer? A une émission de télévision de la Suisse Romande, Albert Jacquard avait conclu sur une curieuse déclaration. Il avait dit que, si nous venions en contact avec une autre civilisation, il leur demanderait d'attendre 50 000 ans avant de venir nous visiter, car nous ne sommes pas prêts à les recevoir! Ceci trahit peut-être un sentiment profond de peur devant la perspective d'une présence extraterrestre.
Isabelle Stengers, philosophe des science belge bien connue, a donné une explication claire des racines du scepticisme scientifique, lors d'une émission de télévision de la chaîne ARTE, en 1996.Elle a souligné que, quand un phénomène se produit en dehors du domaine de la connaissance scientifique, "ils n'aiment pas cela du tout," et ils ont tendance à le disqualifier comme relevant des croyances irrationnelles. Pour Stengers, cette attitude de rejet est de nature quasiment "pathologique."
La philosophe Isabelle Stengers
L'astronome français Pierre Guérin, décédé en 2000, est l'un des rares scientifiques français à avoir défendu les ovnis publiquement en France. Mais il avait dû faire face à de vives critiques de la part de ses collègues, notamment Evry Schatzman, longtemps président de l'Union rationaliste et personnage important du monde scientifique, et il était devenu très pessimiste. Dans son livre OVNIS. Les mécanismes d'une désinformation (2000), paru juste avant sa mort, Guérin soutenait l'opinion que la politique américaine du secret n'était pas près de finir, car la révélation d'une présence extraterrestre serait un trop grand choc pour l'humanité.
L'astronome Pierre Guérin
On peut soutenir, cependant, que les attitudes négatives concernant les ovnis vont probablement se réduire, graduellement. Voici un exemple intéressant qui suggère cela. 1995 fut l'année du plus grand désarroi pour l'ufologie mondiale, avec le "scandale" du film supposé d'une autopsie extraterrestre. En France, ce furent des rugissements dans la presse. Sur la chaîne franco-allemande ARTE eut lieu un petit débat entre plusieurs scientifiques et intellectuels, parmi lesquels Paul Veyne, Henri Broch et Pierre Lagrange, réunis par le journaliste Michel Polac. Ils se moquèrent tellement du film qu'il en résulta, inévitablement, un effet très négatif sur les ovnis. En fait, ce fut un débat très médiocre, mais quelques mois plus tard, la même chaîne ARTE présenta un programme beaucoup plus sérieux et positif sur les ovnis, intitulé Chercheurs d'OVNI (17 mars 1996), avec de nombreux invités tels que le physicien Stanton Friedman, et le professeur de physique Auguste Meessen, ce qui eut pour effet de réhabiliter les ovnis comme sujet sérieux en France.
Le professeur de physique Auguste Meessen
"Wait and see" dans la presse scientifique
La presse scientifique française a été le plus souvent négative sur les ovnis. Mais là aussi, les choses pourraient bien évoluer. Voici l'exemple intéressant d'Olivier Postel-Vinay, rédacteur en chef de la revue réputée La recherche. Invité à un débat sur la chaîne nationale FR3 en novembre 1995, il expliqua qu'il était venu pour "se divertir." J'étais invité également à cette émission, et je pus le rencontrer ensuite brièvement, au retour dans le train. Après une petite discussion, il conclut: "wait and see!"
Mais cela signifie que, si et quand des nouvelles importantes seront divulguées, le monde scientifique se dépêchera d'attraper le train en marche!
Deux initiatives récentes donnent à penser qu'il pourrait y avoir un changement d'état d'esprit en France. Le rapport du COMETA Les OVNIS et la Défense. A quoi doit-on se préparer? fut une grosse surprise en juillet 1999, et il dut faire face à quelques réactions violemment négatives. Cependant, il attira l'attention à l'étranger, à travers le monde, car il était signé par un groupe impressionnant d'officiers supérieurs et d'ingénieurs militaires, animé par le général de l'armée de l'Air Denis Letty, et parce qu'ils avaient osé poser la question du secret américain. Ce n'était pas un document officiel mais il n'en était pas loin.
En septembre 2001, le film OVNIS: le secret américain, diffusé sur la chaîne nationale France 2, fut bien reçu dans la presse française. Ironiquement, il fut diffusé sur la même chaîne qui avait diffusé, exactement un mois avant, le grand show annuel d'astronomie avec Hubert Reeves, où les ovnis étaient bannis! Ce calendrier n'était peut-être pas une pure coïncidence.
Un autre exemple d'ouverture limitée dans les médias français a été donné récemment par un journaliste influent, Franz-Olivier Giesbert, Directeur du magazine Le Point, et réalisateur d'une émission culturelle à la télévision. Il avait invité le jeune astrophysicien Nicolas Prantzos, mais quand celui-ci dit "Je pense que nous sommes seuls," Giesbert lui opposa une déclaration vigoureuse, préenregistrée, du journaliste Jean-Claude Bourret, qui défend depuis longtemps la cause des ovnis. Après quoi Giesbert fit ce commentaire: "Et toc!."
Cela dit, n'espérons pas trop, ni trop vite. Ce sont de petits signes d'un changement graduel d'état d'esprit dans les médias.
Il y a encore des facteurs nuisant à la crédibilité des ovnis.
Malheureusement, il y a encore des facteurs négatifs pesant sur la crédibilité de l'ufologie. Chez les libraires, les ovnis sont toujours placés au rayon ésotérique, où ils sont en compétition avec l'astrologie et avec les promoteurs de révélations sensationnelles de toutes sortes. Le livre de David Icke Le plus grand secret (1999, 2001 pour la version française), qui est un best seller en France, est un bon exemple de telles révélations. De même, la France a beaucoup souffert des sectes, censées être inspirées par des extraterrestres, telles que les Raëliens, l'Ordre du temple solaire et le Mandarom. Sur une telle toile de fond, il n'est pas étonnant que l'ufologie soit jetée par les intellectuels dans le puits noir des croyances irrationnelles, en même temps que les "fausses sciences" et toutes sortes de duperies. Umberto Eco a justement dit cela récemment, dans une chronique mensuelle, dénonçant les exploiteurs de la crédulité populaire (Libération du 18 février 2002).
Un autre exemple de croyances handicapantes est l'affaire Ummo - un paquet de lettres supposées d'origine extraterrestre, apparues en Espagne dans les années 60. Cette histoire devint populaire en France après la parution de deux livres à succès du physicien non-conformiste Jean-Pierre Petit. J'ai essayé de montrer le caractère douteux de ces révélations dans un article que l'on peut lire sur internet (voir le site http://www.ufocom.org/UfocomS/ummo_GB0).
Le "debunking" est toujours à l'oeuvre, dans le monde entier
Un bon exemple récent de "debunking," c'est à dire de mise en doute malhonnête des ovnis, a été l'annonce ridicule faite en Grande-Bretagne de la fermeture du "Bureau des Soucoupes Volantes," dans le Times du 23 avril. Elle a été propagée par les médias dans le monde entier. En France, de nombreux journaux et radios l'ont annoncée, sans se poser la moindre question. Mais quand Denis Plunket, le responsable du groupuscule en question, a dénoncé cette fausse information, personne dans la presse ne s'est donné la peine de le citer. Le debunking des ovnis se porte bien!
La journaliste britannique Georgina Bruni, auteur d'un excellent livre sur l'atterrissage supposé d'un ovni près de la base aérienne de Rendlesham, a révélé une conversation privée qu'elle a eue avec l'ancien premier ministre Margaret Thatcher. Lorsqu'elle lui demanda ce qu'il en était des ovnis, Mme Thatcher lui répondit: "Il faut obtenir les informations exactes, et ensuite on ne peut pas en parler au peuple." Georgina Bruni a justement pris cette formule comme titre de son livre: You Cannot Tell the People (2000, non traduit).
Beaucoup d'ufologues ont dénoncé depuis longtemps l'étrange attitude négative des services gouvernementaux américains au sujet des ovnis. Il serait beaucoup trop long de raconter ici cette histoire. Citons juste deux livres américains récents, bien documentés (non traduits), pour ceux qui seraient intéressés:
UFOs and the National Security State de Richard Nolan (2000) et UFO-FBI Connection du physicien Bruce Maccabee (2000).
Au coeur de cette question se trouve la fameuse affaire de Roswell, avec des centaines de témoins, et d'autres qui sont encore découverts, presque chaque année. Les explications douteuses de l'armée de l'Air paraissent de moins en moins crédibles, même pour les grands médias, et la question devient: combien de temps encore vont-ils être capables de maintenir le grand secret sur les ovnis?
La longue route vers la levée du secret?
Des milliers de pages de documents officiels ont été divulgués en vertu de la Loi sur la Liberté de l'information (FOIA, Freedom of Information Act), depuis les années 70 aux Etats-Unis. De nombreux témoins, civils ou militaires, se sont manifestés et ont parlé publiquement sur les opérations secrètes. En plus de cela, des documents controversés ont été mis en circulation, tels que les fameux papiers "MJ-12," dépassant maintenant les 2 000 pages. Stanton Friedman et de Dr Robert Wood sont parmi les chercheurs actifs sur ces documents. Bien que ceux-ci soient déclarés faux par les autorités, ils paraissent pourtant provenir des services secrets, et semblent contenir un mélange bizarre de vérités et de mensonges, sur les secrets relatifs aux ovnis. Il serait beaucoup trop long de les détailler ici. J'ai essayé de faire connaître tout cela en France dans mon livre OVNIS: la levée progressive du secret (2001).
Aux Etats-Unis, il y a des initiatives intéressantes allant dans le sens d'une levée du secret sur les ovnis. Les études privées continuent avec vigueur, comme le montrent par exemple le livre de Richard Hall The UFO Evidence (nouvelle édition 2001), ou le livre du physicien Peter Sturrock The UFO Enigma (1999), qui a présenté l'étude d'un groupe de travail rassemblé par Laurance Rockefeller en octobre 1997.
Le même Rockefeller a fait des efforts sérieux, en privé, pour attirer l'attention du président Clinton et de son conseiller scientifique Jack Gibbons, dans les années 1993-94, mais cet effort fut compromis par l'étude négative de l'armée de l'Air sur Roswell, comme le raconte le chercheur Grant Cameron, qui a obtenu la correspondance sous FOIA. Celle-ci met en lumière comment même un Président peut être tenu à l'écart des grands secrets sur les ovnis.
D'autres efforts de valeur sont, par exemple, la collecte de témoignages de pilotes par le Dr Richard Haines et le NARCAP (National Aviation Reporting Centre on Anomalous Phenomena), les enquêtes de NIDS (National Institute for Discovery Science), un organisme privé financé par Robert Bigelow à Las Vegas. NIDS semble jouer un rôle ambigu, qui pourrait être de contribuer à une politique de levée progressive du secret. Une autre initiative intéressante a été en 2001 l'action controversée du Dr Steven Greer baptisée "Disclosure Project": un mélange de témoignages, certains très bons et d'autres moins bons.
Divulgation progressive dans les médias?
Dans le passé, il est clair que les médias américains, en particulier les grands journaux, ont eu une longue histoire de coopération avec le gouvernement. Cela est raconté dans un livre révélateur, The Missing Times de Terry Hansen (2000), et aussi, sur un mode plus anecdotique, dans Hollywood Versus the Aliens de Bruce Rux (1997).
Les grands médias ont aidé, sans nul doute, la politique du secret. Cependant, il est possible que certains films et séries de télévision, tels que Star Trek, aient été conçus pour appuyer une politique d'information graduelle sur les ovnis et les aliens. Un développement nouveau et intéressant est l'annonce que Steven Spielberg produit une importante série de télévision sur les ovnis et les enlèvements, appelée Taken, qui doit être diffusée à la fin de 2002.
Le réseau Internet est aussi, sans aucun doute, un puissant facteur pour libérer et accélérer l'information. Mais il reste un facteur inconnu: l'"agenda" de ces mystérieux "aliens," et leur présence qui se renforce, semble-t-il, à travers le monde. Que veulent-ils? Nous ne le savons pas encore.
mars 2002